NYU IFA UBHAHY III I 3 1162 04063534 5 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH TEXT *M The Stephen Chan Library of Fine Arts NEW YORK UNIVERSITY LIBRARIES A private university in the public service INSTITUTE OF FINE ARTS D D D £^> D II ] Un D D D t^ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ÉM UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH Par JEAN CAP ART !LC" CONSERVATEUR ADJOINT DES ANTIQUITÉS ÉGYPTIENNES DES MUSÉES ROYAUX CHARGÉ DE COURS S UNIVERSITÉ DE LIÈGE PREM1 ER VOLUME TEXTE Description de trois monuments funéraires de l'Ancien Empire égyptien - \aciu VROMANT & C°, IMPRIMEURS-ÉDITEURS BRUXELLES MDCCCCVI1 INSTITUTS OF FUTE AKTS N£W YOiiii VMVZRSITY Monsieur GASTON MASPERO MEMBRE DE L'INSTITUT DIRECTEUR GÉNÉRAL DU SERVICE DES ANTIQUITÉS DE L'EGYPTE PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE « Tu es un scribe habile parmi tes compagnons, instruit dans les livres, armé en ton cœur, habile de ta langue... Ta science est une montagne en poids et en volume, une bibliothèque cachée qu'on ne voit pas. » Papyrus Anastasi I. UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH PREFACE ENDANT son passage à la direction du Service des Antiquités de l'Egypte, M. Victor Loret, professeur à l'Université de Lyon, fit exécuter à Saqqarah, de 1897 à 1899, des fouilles, dont les intéressants résultats n'ont malheureusement pas été publiés. Absorbé par de multiples travaux, M. Loret n'a pas eu le temps nécessaire pour entreprendre une étude détaillée des monuments qu'il avait découverts. Nous n'en connaissons que ce qu'il a pu nous en dire dans une petite notice préliminaire, publiée dans le "Bulletin de l'Institut égyp- tien. Et cependant, écrivait-il, avec quelque exagération peut-être, « tout un quartier de nécropole est sorti de terre, avec ses rues, ses carrefours, ses places publiques. 11 y aura là, quand tout sera réparé, nettoyé et rendu acces- sible, comme un coin de Pompéi à visiter. Et ce ne sera pas, pour les tou- ristes, le moindre attrait d'une visite à Saqqarah ». Dix ans ont passé depuis et ce quartier de nécropole est toujours aussi inconnu. Cependant, nombreux sont les touristes qui viennent à quelques pas de là, au cours de leur visite à Saqqarah ; mais tous, parfois même des savants spécialistes, faute d'indications précises, retournent au Caire sans en avoir rien vu (i). Pendant l'hiver 1900-1901, faisant un premier séjour en Egypte, je pus consacrer quelques heures à une visite rapide des monuments découverts par M. Loret. Celui-ci venait de quitter la direction du Service des Antiquités, sans avoir pu terminer le travail de mise en état des lieux pour assurer la con- servation des ruines exhumées. M. Maspero, revenu en Egypte, ne put, devant l'amas énorme des déblais et pour d'autres raisons techniques, songer à présenter aux visiteurs tout ce quartier de nécropole. Il dut se borner à prendre les mesures nécessaires pour rendre accessibles trois monuments importants, s'ouvrant tous dans une même rue. (1) Pendant les dix jours que nous y avons passés, à la fin de mars 1907, aucun visiteur n'a pénétré dans les tombeaux. @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH 19 Mon attention avait été attirée la première fois sur ces tombeaux par M. Philippe Berger, qui, au Congrès d'histoire des religions, à Paris, en 1900, m'avait signalé l'existence, dans l'un d'eux, d'une représentation de la circon- cision. Comme je supposais que la publication de cette scène et de plusieurs autres très importantes ne pouvait tarder, je n'avais pas jugé nécessaire d'en prendre des reproductions photographiques. Revenu en Egypte pendant l'hiver 1905-1906, accompagné cette fois par mon élève et ami, le docteur Charles Mathien, de Liège, j'eus l'occasion de faire de nombreuses visites à Saqqarah et aux tombeaux Loret. Les 3 et 5 janvier 1906, nous y avons pris dix-huit grandes plaques photographiques (18 x 24), consacrées à quelques-unes des scènes les plus curieuses et les mieux éclairées. Rentré en Belgique, j'écrivis à M. Loret, qui, avec une libéralité dont je le remercie cordialement, m'autorisa à publier mes photographies, me disant que ses travaux actuels ne lui laissaient pas l'espoir de publier les tombeaux de Saqqarah comme il eût désiré le faire. Je comptais donc intro- duire, dans un prochain volume de mon T{ecueil des Monuments égyptiens, une série de planches consacrées aux tombeaux Loret. Sur ces entrefaites, me trouvant de nouveau en Egypte au printemps de 1907, pour entreprendre des recherches dans la région d'Héliopolis — recherches qui n'ont d'ailleurs donné aucun résultat — j'ai pu faire un nouveau séjour à Saqqarah et compléter le travail commencé antérieurement. M. Mas- pero voulut bien nous autoriser, le docteur Mathien et moi, à nous installer, du 26 mars au 3 avril, dans la maison de Mariette, que M. Quibell venait d'abandonner. Je suis heureux d'exprimer ici tous mes sentiments de recon- naissance à M. Maspero pour cette autorisation et à M. et Mrae Quibell pour leur accueil obligeant à Saqqarah. Grâce à eux, j'ai pu, avec l'aide pré- cieuse du docteur Mathien, ne pas me contenter de glaner parmi les scènes sculptées les détails les plus importants, mais bien tenter une édition com- plète, en photographie, de trois tombeaux de la rue découverte en 1897-1899. Nous osons espérer qu'on ne se montrera pas trop sévère pour l'exécution des photographies. Ceux qui connaissent les lieux, et qui sont photographes, comprendront les difficultés qui se sont présentées au cours du travail ; ils nous excuseront si quelques planches leur semblent peu satisfaisantes. Tous les clichés ont été développés sur place, et quelques- 8 19 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH i9 uns recommencés lorsqu'ils nous paraissaient insuffisants. Peut-être aurions- nous dû en refaire davantage (i). Ils suffisent cependant, je crois, pour donner une idée assez bonne de l'ensemble. D'autres pourront y revenir un jour et combler les lacunes de la présente publication. Quant au texte qui accompagne les planches, je tiens à bien préciser ce que j'ai voulu faire. Au milieu de mes travaux ordinaires à l'Université de Liège et au Musée de Bruxelles, j'aurais hésité à commencer une étude com- plète de trois tombeaux de l'Ancien Empire. A chaque instant se posent des questions difficiles, dont la solution demanderait de longues recherches. Fallait-il remettre aux « calendes grecques » l'édition des photographies? Je ne l'ai pas cru, d'autant que les scènes les plus curieuses des tombeaux allaient fatalement être utilisées dans les publications où elles seraient séparées de leur ensemble. Les scènes de circoncision et de massage ont d'ailleurs été reproduites, d'une manière peu précise, dans un livre du professeur Max Mill- ier. Mon texte se bornera donc à une rapide description générale, telle que je crois pouvoir la faire, après avoir passé dix jours dans les monuments et après avoir examiné et compulsé à loisir les photographies pendant quelques semaines. J'essayerai de présenter au public les tombeaux Loret, comme je serais tenté de le faire si j'accompagnais sur place le lecteur. Mon but sera de lui donner de ce groupe de monuments une idée un peu moins confuse que celle qu'emportent les touristes ordinaires de leurs rapides et distraites visites aux merveilles de Saqqarah. Je ne pourrai m'occuper, comme il l'aurait fallu, des questions d'archi- tecture, qui nécessitent une compétence spéciale. Pour éviter des complica- tions et des retards dans cette publication, je n'ai pas jugé nécessaire de donner, en hiéroglyphes, les textes qui ne sont pas sur les planches ou qui y sont peu lisibles, me réservant de publier, le plus prochainement possible, tous les textes des trois tombeaux, avec renvois aux planches et index. Pour cela, il me faudra revoir sur place quelques passages douteux. (i) M. Vcrstraeten, chef du service photographique du Musée du Cinquantenaire, a réalisé des prodiges en améliorant plusieurs clichés, qui auraient été insuffisants pour obtenir de bonnes planches phototypiques. 9 9 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH 9 INTRODUCTION ORSQUE, venant de Bedrechein, on arrive à l'extrémité de la digue qui sert de route pendant l'hiver, le désert du dieu Sokaris, le dieu des morts de Memphis, se présente au voyageur, juxtaposé sans transition aux terres fertilisées par l'inondation. Une rampe sablonneuse, bordée des restes de maisons anciennes, bâties en briques crues, conduit rapidement sur le plateau désert, où se cachent, serrés les uns contre les autres, en nombre inimagi- nable, les tombeaux des générations qui se sont succédé, pendant près de cinquante siècles, dans la grande ville de Memphis (figure i). Au lieu de nous diriger, comme on le fait souvent, sur la pyramide à degrés et de là sur la fameuse maison de Mariette (planche I), nous prendrons un sentier se dirigeant directement vers le Nord. Laissant à notre gauche une petite pyramide, dont l'ancien propriétaire est resté jusqu'à présent inconnu, nous arrivons rapidement à une autre, qui n'est plus marquée sur le sol que par un amas confus de terre et de pierres. C'est la pyramide où reposait autre- fois le roi Teti, premier souverain de la VIe dynastie. Escaladons les restes de la pyramide : de là, nous aurons une excellente vue d'ensemble sur la vaste nécropole de Saqqarah, véritable mer de sable, dont la monotonie n'est rompue que par la masse des pyramides (planches Il et 111). Au premier plan, la pyramide anonyme que nous avons signalée tout à l'heure ; plus loin, la pyramide à degrés, qui date de la fin de la IIIe dynastie et indique, avec la pyramide de Meidoum, la transition entre le type de la tombe royale archaïque et le type de la pyramide. Un peu à gauche, une butte marque la pyramide du roi Ounas, le dernier souverain de la Ve dynastie, la plus ancienne des pyramides avec chambres décorées de textes religieux. A gauche encore, en se rapprochant de la lisière du désert, le deu- xième groupe des pyramides de Saqqarah et le monument connu sous le nom de Mastaba el Faraoun, sorte de gigantesque banquette en pierre, qui rappelle le type des tombes royales de la IIIe dynastie, découvertes par Garstang à 1 1 S UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH H Bêt Khallaf. Plus loin, on aperçoit, disposées en un vaste quadrilatère, les pyramides en pierres et en briques de Dahchour. Si nous nous tournions dans la direction du Nord, nous verrions successivement les groupes de pyramides d'Abousir et de Gizeh, séparés de Saqqarah par de vastes étendues de désert. Exami - MAISON DE MAfVïTK f"» .i*>* Vrt* S .«•«i>m ""'llf » | Py/tAMIOf a J 1£GR£S #5 n * " 1 Kl ' *■% l a .--'i S H rV 1 "* < ; - i £ - I ï 4mi** — irf .-? 1 ^n-»*' « » i '"Win //»/!■••••••• ** ..-.»"!:: sr.w. .... ."t., />|,lC^>,^' r"Y" *"•■'- -■• •^ / pyRAM/oe oc "\ TET/. w$r- .t»* "♦..'H. <*** j»W* ""/... T. oe MER/. oc K/ICeMK/A Fig. i. Plan d'ensemble de la partie Nord de la Nécropole de Saqqarah. D'après Bissing. nons mainte- nanties abords directs de la pyramide de Teti et, en nous aidant des indices qui ont été décou- verts au cours des fouilles du Service des Antiquités, essayons de nous repré- senter l'aspect des lieux il y a quelque cinq mille ans, au moment où le roi Teti venait de prendre possession de sa demeure éternelle. La pyra- mide (i) est soigneusement revêtue, de la base au sommet, de dalles de calcaire, qui cachent les matériaux divers constituant son noyau. Elle est des- (i) La pyramide de Teti est actuellement fermée; la pyramide d'Ounas, qui est du même type, sert de base a notre description. 12 9 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH il tinée principalement à protéger la chambre funéraire du roi, dont les murs sont couverts de textes religieux. La momie royale une fois enfermée dans le sar- cophage (planche IV), on a accumulé, dans les chambres, les pièces du mobi- lier funéraire, entre autres les précieux vases en pierre constituant la vaisselle destinée au service du royal défunt. A l'extrémité de la chambre funéraire, le sarcophage est entouré sur trois des côtés par trois dalles colossales en albâtre, sur lesquelles on a dessiné un de ces pavillons légers en boiseries — sorte de moucharabiehs — que l'on disposait à la porte des palais et des maisons des grands pour ombrager l'entrée des appartements. Entre les montants de bois, des tapis ou des nattes multicolores jouaient le rôle de stores aux heures où le soleil était le plus ardent (planche V). C'est par cette porte fictive que l'âme du roi, son « double », entrera ou sortira du tombeau, à son gré. Les couloirs d'accès ont été soigneusement fermés par de solides herses en granit glissant dans des rainures (planche VI). On pensait que le mort continuait à poursuivre une vie à peine différente de celle qu'il avait menée au milieu des vivants. Le mobilier funéraire, les pro- visions enfouies à proximité de la momie, devaient l'aider en cette existence nouvelle. Le mort est un être dangereux pour la communauté des vivants ; s'il manque de quelque chose, il viendra le chercher lui-même au milieu des villes où il causera des ravages cruels. Il fallait donc nécessairement instituer des services réguliers chargés de renouveler périodiquement les provisions des- tinées au défunt. Il y aurait un grave inconvénient à laisser ouvert le réduit où est cachée la momie et où vit l'âme ou le double. Y pénétrer pourrait être plein de périls pour les parents et les serviteurs qui y apporteraient des offrandes. Pour parer à cette éventualité, on recourut à un procédé commode, employé par tous les peuples, et qui consiste à déposer les offrandes à un endroit déterminé où le mort pourrait venir les recueillir. Cet endroit est, dans l'espèce, une sorte de magasin, adossé à la face de la pyramide qui regarde le soleil levant. Au fond du magasin, une nouvelle fausse porte servira au même office que celle qui se trouve gravée dans la chambre sépulcrale. Le mort pourra aisément entrer et sortir, venir se nourrir des aliments apportés périodiquement dans ce ma- gasin, qui, petit à petit, se développera au point de devenir un véritable temple funéraire. La fausse porte est, en effet, une porte réelle pour le i3 @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH & mort ; elle est, plus exactement, une « âme de porte » qui s'ouvrira pour 1' « âme du roi ». 11 suffit de parcourir rapidement le « Rameau d'or » de Frazer pour com- prendre le rôle précis que joue l'« âme image» dans les conceptions des primitifs. De même que l'on brise des objets pour envoyer leur âme dans l'autre monde, au service de l'âme du défunt, il suffit de représenter, sur les parois de la tombe, les objets nécessaires pour en détacher l'âme et les mettre réellement à la disposition du mort(i). Le principe une fois posé, les Égyptiens en ont fait immédiatement les applications les plus complètes : tout, absolument tout ce qui peut être utile pour le mort sera représenté en sculpture ou en peinture sur les parois de la tombe ou de la chapelle funéraire. De là, ces nombreux défilés de porteurs d'offrandes qui, dans les chapelles des pyramides, s'acheminent vers la fausse porte qui conduit aux appartements intimes du défunt. Telle est la disposition de la tombe du roi Teti et des tombes en forme de petites pyramides qui, placées à proximité de la tombe royale, abritent des membres de la famille royale : reines, princesses ou princes. Telles sont les mesures que les « savants », les « sorciers » des âges lointains, ont imaginées pour préserver la communauté, et surtout le pharaon régnant, des attaques des revenants royaux, en procurant à ceux-ci, après la mort, une vie suffisamment heureuse pour qu'ils ne songeassent pas à rien réclamer aux survivants. Mais la recette n'est pas restée longtemps l'apanage des rois et de leurs proches. Les grands personnages de l'empire devaient nécessairement ambi- tionner un traitement analogue et, bien avant la construction des pyra- mides, à l'époque où la tombe du roi avait encore la forme d'une grande banquette en briques ou en pierre (on les appelle mastabas), on ensevelissait à peu près à l'instar des rois tous ceux qui, de leur vivant, avaient joué un rôle important dans la société. Les mastabas des grands se groupaient à l'entour de la tombe royale, réunissant ainsi, pour l'éternité, le roi avec ses ministres, ses sujets de marque, ses familiers. 11 semble qu'à l'époque où nous sommes, au début de la VIe dynastie, on (i) Un exemple moderne fera comprendre clairement cette idée. Que l'on songe aux étapes suivantes d'un usage funéraire : couronnes en fleurs véritables, couronnes en fleurs artificielles, couronnes en pierre sculptée, couronnes peintes sur des plaques de faïence émaillée, etc. >4 H UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH g] avait renoncé, devant l'encombrement de la nécropole, à construire pour cha- que personnage un mastaba spécial, comme on le faisait, par exemple, à Gizeh, sous les rois de la IVe dynastie. On se contentait de construire de gigantesques massifs de pierre, à l'intérieur desquels s'ouvraient une suite de chapelles funé- raires. Les groupes de tombes ainsi arrangées formaient une série de rues se coupant à angle droit, qui constituaient autour des pyramides royales une véritable ville des morts, comparable en tous points au quartier des tombeaux des kalifes au Caire. Cette ville s'animait seulement lors des fêtes des morts, lorsque les familles venaient faire dans les chapelles funéraires les sacrifices que les contrats en règle, à défaut de la reconnaissance ou de la piété filiale, déter- minaient soigneusement. Au Nord de la pyramide de Teti se trouvaient plu- sieurs rues semblables. M. Loret a déblayé entièrement une rue et découvert l'existence d'une autre ; les tombeaux de Mereruka ou Meri et de Kagemni, fouillés par M. de Morgan, appartiennent vraisemblablement à un autre groupe de constructions analogues. Descendons du sommet de la pyramide de Teti et acheminons-nous vers la rue de tombeaux fouillée par M. Loret (planche VU). Au milieu de l'amas de sables et de décombres accumulés dans ce coin de nécropole, réemployé à des niveaux différents aux diverses époques, il n'est point aisé de s'imaginer l'aspect exact des lieux aux temps lointains de la VIe dynastie. La rue de tombeaux est bordée de véritables collines de déblais qui, par endroits, coupent même la perspective. Descendus au fond du ravin sablonneux, il nous est impossible d'apercevoir les tombes de Mereruka et Kagemni, situées à quelques mètres seulement, et qui sont peut-être en relation avec les chapelles funéraires de la rue. En effet, de part et d'autre, ce sont non seulement des contemporains, mais des personnages portant de nombreux titres communs et qui, d'après quelques indices, pourraient appartenir à une même famille. Des fouilles étendues apporteraient vraisemblablement des renseignements précis à cet égard. Comme nous venons de le dire, les âges successifs ont accumulé ici leurs nécropoles, les unes sur les autres, utilisant les matériaux des tombeaux à demi ruinés pour en ériger de nouveaux, si bien que les assises supérieures des murailles ont disparu pour la plupart, malheureusement avec les sculptures qui les décoraient. i5 m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ La rue, à peu près exactement orientée du Sud au Nord, était bornée à l'Est et à l'Ouest par la façade de deux gigantesques mastabas construits en grands blocs de calcaire soigneusement appareillés. Les murs, légèrement en talus, s'arrêtaient à quelques mètres du sol par une vaste plate-forme. Dans la façade du côté Ouest, faisant face donc à l'Est, s'ouvraient les portes de quatre chapelles funéraires, au milieu de petites façades constituées par un léger retrait du front du mur principal. Dans deux tombeaux au moins, des piliers en grès encadrent la baie. Des figures gravées et des inscriptions attirent immédiatement les regards et décrivent longuement les noms et titres du pro- priétaire de chacune des chapelles. A l'intérieur s'ouvrent plusieurs salles, éclairées vraisemblablement par la porte ou par d'étroits soupiraux, comme dans les tombeaux de Ti et de Ptahhotep. Au-dessus d'un soubassement d'un mètre environ, les scènes sculptées et peintes se déroulent à peu près depuis l'entrée jusqu'à la stèle ou fausse porte qui mène aux appartements intimes du mort. Ceux-ci se trouvent situés profondément dans le sol, communiquant avec l'extérieur par un puits qui débouche au sommet du mastaba. Un escalier conduit, dans plusieurs tom- beaux, de l'une des chambres intérieures à la plate-forme, peut-être pour faciliter les cérémonies au jour de l'enterrement. Nous allons à présent examiner en détail ce qui reste des trois premiers tombeaux de la rue ; le quatrième n'a pas été maintenu désensablé. Voici ce qu'en dit M. Loret : « Cette quatrième tombe appartient à un nommé Ka-Pâr. La stèle est de mauvais travail ; mais une grande salle, devant la porte, offre un exemple intéressant de plafond voûté en briques. Cette tombe est d'ailleurs presque dénuée d'intérêt artistique. A part la stèle et l'encadrement de la porte d'entrée, on n'y trouve aucune sculpture. Les six chambres sont simplement crépies à la chaux et badigeonnées de couleur blanche (i). » Disons encore que, passé ce quatrième tombeau, la rue tournait à angle droit pour venir se terminer en impasse contre la pyramide funéraire de la reine Apouit. (i) V. Loret, Fouilles dans la nécropole memphile (1897-1899), dans le Bulletin de l'Institut égyptien. V série, n' 10, année 1899, Le Caire, p. 91. 16 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH I. TOMBEAU DE NEFER-SESHEM-RA E premier tombeau (planche VI 11) a le plus souffert, et le visiteur peut difficilement se représenter l'ensemble du monu- ment, dont le sable recouvre en partie les murs encore existants. La façade (planche IX) a été fortement rongée par l'action du temps et surtout par le vent, qui projette, à la surface du calcaire tendre, de minces particules de sable qui, à la longue, détruisent complètement les inscriptions. Le panneau de gauche est le mieux conservé. On y voit le mort, debout, regardant vers la droite et s'appuyant sur son grand bâton. Devant lui et au-dessus de sa tète, douze lignes d'inscriptions contiennent des formules funéraires et les noms et titres de Nefer-seshem-Ra. On demande aux dieux que le mort reçoive des offrandes funéraires dans la nécropole de la montagne occidentale, qu'il soit enseveli dans la tombe de la nécropole après une heu- reuse vieillesse, jouissant de l'estime du roi. On demande encore qu'il puisse parcourir les bons chemins, qu'il soit accompagné de ses doubles (de ses âmes) dans les brillants chemins où marchent les bienheureux (i). Puis commence l'énumération des principaux titres de Nefer-seshem-Ra. 11 est d'abord appelé prince héréditaire. On lui donne ensuite, parmi d'autres, les titres suivants : chef des prêtres de la pyramide de Teti, juge suprême, vizir, chef-scribe des documents royaux, chef de tous les travaux du roi, chef des deux trésors d'argent, chef des deux trésors d'or, chef des deux magasins du trésor royal, chef du sud, chef des deux greniers, chef des missions, chef du palais, chef des deux magasins des objets sous scellés, chef des productions du ciel et des fruits, le premier après le roi, chef de la grande maison des six, etc. Tels sont les titres dont la signification paraît claire. On rencontre déjà, dans cette liste, à côté du nom Nefer-seshem-Ra, un second nom Sheshi, dont nous aurons à (i) Ici, comme dans la suite, nous ne pouvons songer à traduire littéralement toutes les formules funéraires qui risqueraient, pour la plupart, d'être à peu près aussi obscures en français qu'en égyptien et qui demande- raient, en tous cas, de longs commentaires. 3 >7 SI UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH SI nous occuper tout à l'heure. Sur le panneau de droite, on reconnaît encore la figure du défunt debout, regardant vers la gauche, entouré de textes qui répé- taient probablement, à peu de chose près, les inscriptions de l'autre panneau. Le linteau est entièrement perdu, et c'est à peine si l'on peut y reconnaître, en silhouettes faibles, deux figures du mort, debout, tournées vers la droite, encadrées de lignes horizontales d'inscriptions. Sur la face interne des montants de la porte, on trouve, à droite et à gauche, le mort, debout, regardant vers l'extérieur. 11 tient le grand bâton et le sceptre; sa coiffure est serrée dans un bandeau orné, à l'arrière, d'un motif floral et dont l'extrémité pend sur l'épaule (comparez planche XC1I). Les figures sont fort abîmées, les textes qui les surmontaient sont à peu près entiè- rement détruits. En combinant ce qu'on lit à droite et à gauche, on peut resti- tuer cependant : « L'estimé d'Osiris, maître de Busiris, l'estimé d'Anubis, maître de l'ensevelissement, le chef des prêtres de la pyramide de Teti, juge suprême, vizir, chef de tous les travaux du roi, le premier après le roi, le bâton des Rekhyt (?), l'Ankmoutef (?), chef des deux trésors en argent. Son grand nom est Nefer-seshem-Ra. » La porte franchie, sur le mur de gauche d'un couloir qui conduit à la pre- mière chambre, un bas-relief, fortement dégradé, était consacré à la représen- tation de troupeaux de bœufs (planche X). On distingue encore les restes de quatre registres. Sur chacun sont sculptés deux bœufs, l'un derrière l'autre, désignés par l'inscription * * h -Ç) « jeune bœuf ». Au registre inférieur apparaît un [il, qu'on pourrait peut-être traduire ici par « régent de ferme », l'équivalent exact « régent de château » donnant en français une idée trop élevée des fonctions du personnage. La salle I, dans laquelle nous entrons, a presque entièrement disparu et seuls les arasements des murs permettent d'en reconnaître le plan. Dans le côté Sud s'ouvre une porte donnant accès à une deuxième salle, sans trace de déco- rations sculptées ; dans le côté Nord, une autre porte conduit à la salle 111, qui était le lieu principal du culte funéraire ; c'était là que se faisaient les sacrifices, devant la stèle ou fausse porte. Les murs en sont entièrement détruits et, seule, la stèle monolithe est restée en place, mutilée vers le bas par une infruc- tueuse tentative des chercheurs de trésors (planche XI). On est un peu surpris au premier abord d'apprendre que cette série de .8 FIGURE 2 — STELE DE NEFER-SESHEM- RA. RECONSTITUTION EN PERSPECTIVE MODERNE. 9 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH gj panneaux bizarrement agencés, légèrement en retrait les uns sur les autres, doit représenter une porte, ou plus exactement la partie de la façade d'une maison dans laquelle s'ouvre la porte principale. Les conventions de l'architecture égyptienne figurée sont des plus déroutantes, et il faut un certain temps avant de démêler ce que le dessinateur a voulu exprimer. L'analyse d'un grand nombre de ces stèles, la comparaison minutieuse de leurs détails, permettent cependant de restituer l'ensemble d'après nos conventions de la perspective moderne, à peu près de la manière suivante (voir figure 2) : La porte est séparée, comme on le voit, du reste de la construction par une forte moulure arrondie. Au sommet s'étend, sur toute la largeur, une gorge ornée de palmes. La moulure arrête vers l'extérieur les panneaux d'en- cadrement de la baie, montants étroits et linteau couverts de figures et d'ins- criptions. Légèrement en retrait, les panneaux de la porte sont, à leur tour, ornés de représentations du mort, debout, dans la pose habituelle. Les montants supportent un linteau surplombant un peu et aussi légèrement en retrait sur l'encadrement extérieur. L'espace laissé libre entre ces montants et l'archi- trave est divisé par un nouveau linteau, en dessous duquel s'ouvre la porte proprement dite. Au-dessus, un petit panneau (1) sépare deux étroites fenêtres destinées à éclairer l'entrée de la maison quand la porte est fermée. Les panneaux flanquant la porte devraient être, en réalité, aperçus en perspective : ce sont les deux faces internes des piliers carrés qui encadrent la porte, tels qu'on les voit, par exemple, sur les planches XXI 1], XXIV ou LXXV111 et LXX1X. L'Égyptien, voulant en montrer les inscriptions et décorations, les a rabattues sur le plan, rétrécissant ainsi l'espace réservé au passage, au point de le transformer en une mince rainure, ce qui pouvait se faire sans aucun inconvénient, puisqu'il n'y avait aucun détail à marquer en cet endroit. Tout au plus aurait-on pu représenter, comme on l'a fait parfois, les deux verrous qui servaient à assujettir les battants de la porte. Un petit tambour cylindrique, placé dans le passage, sert à inscrire les noms et titres du propriétaire de la maison. La disposition de ce tambour est clairement connue par les tombeaux de l'Ancien Empire, où on le rencontre très fréquemment. (1) Ce panneau, orné de deux représentations du mort assis devant une table d'offrandes, deviendra peu à peu la véritable stèle, telle qu'on la connait aux époques ultérieures. •9 @l UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH §9 Partout où la place le permettait, des inscriptions ont été gravées, consti- tuant une collection très complète des formules funéraires de la fin de l'Ancien Empire. On aurait peine à citer une stèle dont le répertoire des formules fût plus abondant. Le scribe qui les a écrites n'a pas toujours été extrêmement soi- gneux et il a parfois laissé des traces de sa négligence en tronquant une phrase, en oubliant un mot. Efforçons-nous de donner une idée de l'ensemble de ces inscriptions, dont la traduction complète demanderait de longs com- mentaires, que nous ne pouvons songer à présenter ici. Les lignes j à 3 contiennent des formules relatives à l'accomplissement des rites funéraires par le prêtre récitateur des textes rituels, à l'ensevelissement dans la nécropole et à la présentation des offrandes funéraires aux principales fêtes de l'année. Dans les lignes 5 à 6, les dieux sont invoqués pour qu'ils accordent à Nefer-seshem-Ra une bonne vieillesse, estimé du dieu de sa ville et du roi, et pour qu'après sa mort il parcoure les bons chemins dans lesquels marchent ceux qui sont aimés du dieu principal des morts, Osiris. La ligne 8 contient une brève formule relative aux offrandes funéraires. A la ligne 10, nous pensons reconnaître une allusion, incomprise par le scribe, à la montagne d'Occident personnifiée, le domaine de la mort, qui tend ses bras vers le mort pour l'accueillir (i). Les lignes 4, 7, 9 et j 1 énumèrent les titres du défunt. Les lignes j3 et 14 sont consacrées à des formules rares, qui tont allusion aux cérémonies des funérailles : « Qu'il entre dans sa maison d'éternité en très bon repos, estimé du dieu Anubis, chef des occidentaux (des morts), maître de la belle terre (nécropole), après qu'on lui a fait des offrandes funéraires sur la table d'offrande, après la navigation du lac (2), après que les rites ont été accomplis en sa faveur par le récitateur des textes rituels. » La ligne 1 5 énumère encore des titres. Les lignes 16 à 18 sont une espèce de panégyrique du mort : « Je suis venu dans ma ville, je suis arrivé dans ma province, j'ai réalisé la vérité pour son maître (le roi, qui est maître de la vérité), je lui ai plu en ce qu'il aimait. J'ai (1) Voir, par exemple, Mariette, les Mastabas de l'Ancien Empire, p. 433 (Musée du Caire); Lange- Schafer, Grab und Denksteine des miltleren 1{eichs, t. 1, n" iooo5, 20008; stèle du Musée de Vienne, n° 7. (2) Mariette, Les Mastabas de l'Ancien Empire, p. iq5. Voir peut-être H. Madsen, Vie Totenfeier im Garlen, dans la Zeilschrifi fur à'gyptische Sprache und Alterlumskunde, XLI11, 1906, p. 5ï. 20 §9 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ® dit le vrai, j'ai fait le vrai, j'ai dit le bon, je l'ai répété... J'ai été l'arbitre entre les adversaires, pour les pacifier. J'ai sauvé le misérable de la main du violent... J'ai donné du pain à qui avait faim, des vêtements (à qui était nu)... J'ai ense- veli celui qui n'avait pas de fils (pour lui rendre les derniers devoirs). J'ai été la barque de celui qui n'en avait pas. J'ai respecté mon père et ai été agréable à ma mère ; j'ai pris soin de leurs enfants. » Aux lignes 19 à 21 , on retrouve des formules analogues à celles des pre- mières lignes. On prie, par exemple, pour que « le défunt marche dans les bons chemins, qu'il soit accompagné de ses doubles ou âmes, qu'il soit accueilli par le dieu et guidé dans les chemins excellents où marchent les bienheureux, qu'il parvienne auprès du dieu grand maître de l'Occident... Que le récitateur des textes rituels et l'embaumeur (%û@) accomplissent en sa faveur les rites ». La ligne 22 ne contient que des titres. Aux lignes 23 et 24, on trouve encore, malheureusement mutilées à la base, quelques formules funéraires intéressantes : « Qu'il navigue sur la voûte céleste en très bon repos, qu'il apparaisse à la pointe de la montagne de la nécropole, qu'il soit saisi ( e» ) par ses ancêtres (1) qu'il reçoive des offrandes funéraires sur la table d'offrandes de sa maison d'éternité, étant parvenu à un âge avancé... » Les lignes 25 à 32 répètent exactement les lignes i5 à 22. On voit combien ces textes contiennent d'idées difficilement conciliables avec les croyances à une vie dans la tombe, telle que nous l'avons esquissée plus haut. Ce sont des idées nouvelles qui se font jour et qui, sans remplacer entièrement les notions anciennes, finiront par jouer cependant un rôle impor- tant dans les préoccupations d'outre-tombe. Elles se rattachent à une eschato- logie nouvelle, qui est expliquée, avec plus ou moins de clarté, dans les textes gravés sur les murs des chambres funéraires des pyramides à partir du roi Ounas. Nous y avons fait brièvement allusion plus haut. Ces croyances, d'un ordre incontestablement plus élevé que les vieilles théories, commencent dès ce moment à s'insinuer dans les sépultures des grands personnages. C'est là un procédé lent, qui se continuera pendant toute l'histoire de l'Egypte et qui (1) Mariette, Les Mastabas de l'Ancien 'Empire, p. 19S. 2) m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ consiste à faire bénéficier de plus en plus les sujets des recettes magiques réservées d'abord strictement au roi, tandis qu'on en élabore simultanément de nouvelles pour la personne royale. Les deux noms du mort, Nefer-seshem-Ra et Sheshi, alternent constam- ment sur la stèle. Nous pouvons indiquer brièvement ici ce que l'on peut sup- poser au sujet de ces deux noms, dont l'un est appelé le grand nom et l'autre le bon nom. On sait que, pour les primitifs en général, le nom a une importance extrême ; il constitue un élément essentiel de la personnalité humaine, qui, sans lui, ne serait pas complète : c'est, dirions-nous, une espèce d'âme. On croit que l'emploi du nom dans les opérations magiques peut avoir sur celui qui le porte une influence irrésistible, et beaucoup de primitifs cachent leur véritable nom et le remplacent, pour les besoins ordinaires de la vie, par un autre, dont l'usage n'offrira aucun danger. Une légende mythologique égyp- tienne nous prouve à l'évidence le rôle important de ces croyances en Egypte; de là, le bon nom ou nom habituel et le grand nom, qui était le nom caché ou secret, qu'on ne révélait qu'avec terreur, mais qu'on était forcé de mentionner dans la tombe, afin que les formules religieuses et magiques pussent s'appliquer certainement à celui à qui on les destinait. Nous verrons plus loin que l'on employait parfois un troisième nom, dont le rôle n'est pas absolument clair. De chaque côté de la stèle, on entrevoit des figures de serviteurs présen- tant des huiles, des essences, des bandelettes au double du mort (I w^^ ; à gauche et à droite, ce sont les mêmes offrandes ; de haut en bas, les huiles, puis les fards, enfin les bandelettes. Le mur du côté Nord était décoré vraisemblablement de scènes sem- blables à celles que nous trouvons dans la chambre contenant la stèle du troisième tombeau. On en voit encore des traces à peu près insignifiantes, parmi lesquelles il n'est utile de signaler que le titre et le nom d'un porteur d'offrandes _fj^. ^ "" ° p (ce qui reste suffit pour reconnaître que les scènes étaient disposées comme sur la planche XCVU). Une porte dans le mur Nord de la salle 111 conduisait à une quatrième salle (IV) dépourvue actuellement de toute décoration. Entre les salles 111 et IV se trouvait, au cœur de la construction, un réduit V, qu'on appelle un 22 @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ serdab et dans lequel étaient placées des statues du défunt. Nous aurons l'occasion de reparler de cet élément constitutif du tombeau. Revenons sur nos pas jusqu'à la salle 1. Une porte percée dans le mur Est nous permet de pénétrer dans une vaste salle (VI), dont les murs, en gros blocs à la surface rugueuse, n'ont jamais reçu aucune décoration. Dans l'angle Sud-Ouest de cette salle, s'amorce un escalier, qui conduisait vraisemblablement à la plate-forme extérieure du mastaba, permettant ainsi d'accéder facilement à l'orifice du puits funéraire, comme nous avons eu l'occasion de le remarquer précédemment. Le plafond était soutenu par deux architraves appuyées sur six gros piliers carrés. Les quatre faces de chacun de ces piliers sont décorées de grandes figures du défunt, debout, s'appuyant sur un bâton et tenant en main une sorte de sceptre ou casse-tête cérémoniel (planches X1I-X1V). En quelques endroits, le mort est précédé d'une petite figure représentant un de ses fils. Sur deux faces, assise sur le sol et placée, semble-t-il, par une erreur de perspective, entre les jambes du mort, se trouve une petite figure de la femme de Nefer- seshem-Ra ; une fois seulement apparaît, dans la même position, une de ses filles. L'architrave, dont il reste un fragment, était décorée de figures du mort, debout, bâton et sceptre ou bandelette en main. Ses titres et ses noms encadrent les figures au-dessus et sur les côtés. Les piliers ont été soigneusement sculptés en relief dans le creux, et nous pouvons examiner à leur propos, au moins sommairement, les conven- tions et les procédés des Égyptiens dans le rendu de la figure humaine. Une des faces du deuxième pilier à gauche nous montre Nefer-seshem-Ra accom- pagné de sa femme et de l'un de ses fils (planche XV). La tête du personnage principal est dessinée franchement de profil, les traits nettement marqués, une légère barbiche découpée sous le menton ; l'œil seul est de face et trahit l'indigence des procédés. Le collier, qui s'étale largement sur la poitrine, nous montre que, pour cette partie du corps, on a représenté le modèle vu de face, de manière à bien indiquer les épaules. Et cependant une légère saillie vient marquer le bouton du sein, nous laissant entrevoir un vague essai de figurer le torse dans la même position que la tête. Le nombril et la boucle de ceinture nous ramènent insensiblement au pro- 23 m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH D fil, que nous retrouvons nettement marqué dans le dessin des jambes et des pieds. On pourrait donc dire que l'Égyptien représente l'homme de profil en silhouette, et l'on peut se demander même si, à l'origine, on n'a pas simple- ment cherché à fixer sur le mur « l'ombre noire » de l'individu, en réalité une de ses âmes. La difficulté de traduire le mouvement des bras, vus en silhouette, a amené une torsion des épaules, auxquelles on fait subir un quart de tour, procédé employé aussi dans les reproductions architecturales. Dans l'espace laissé libre par la figure principale, on a cherché à caser quel- ques figures accessoires. Entre les jambes, par conséquent à côté de Nefer- seshem-Ra, sa femme est assise sur le sol ; d'un geste, connu par les statues contemporaines, elle tient la jambe de son mari. Seulement, ici, le sculpteur s'est trompé : le mort marche la jambe gauche en avant, et la femme, en réa- lité, devrait tenir cette jambe de la main droite et nous apparaître à peu près de dos. Mais la représentation de dos répugnant à l'artiste égyptien, comme manquant de clarté, il fait nettement passer devant le corps de la femme le bras gauche, qui devient ainsi un bras droit. Par le fait, la femme, au lieu d'être assise à côté de son mari, se trouve sous lui, entre ses deux jambes. La comparaison des groupes figurés sur les reliefs avec les statues en ronde bosse est très intéressante et montre nettement les bizarreries auxquelles les artistes étaient condamnés par ces procédés, qui nous paraissent un peu enfantins. Le fils est debout, remplissant l'espace laissé libre entre la ligne du sol et la pointe antérieure du pagne de son père, ce qui pourrait servir à montrer que les proportions des personnages dans les reliefs égyptiens sont détermi- nées surtout par l'espace laissé libre et non par l'intention de donner au défunt une taille héroïque, comme on le prétend parfois. Il est bon de remarquer déjà ici qu'en plusieurs endroits, sur les piliers, le fils du mort a été effacé soigneusement et que, des inscriptions qui s'y rapportaient, on n'a laissé sub- sister que le nom de la pyramide du roi Teti, dont il était prêtre. Nous aurons l'occasion plus tard de nous demander la raison de cette mutilation intention- nelle des reliefs, ayant pour résultat de faire disparaître la figure d'un des fils du défunt. Revenons au procédé de figuration humaine. Ce qui frappe surtout, ce sont les épaules dessinées de face. Quelques artistes égyptiens ont remarqué, 24 g UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH m semble-t-il, l'inconvénient d'une telle représentation, au moins dans un cas spécial. Souvent, les sculpteurs en ronde bosse ont marqué avec complaisance les plis de graisse qui couvrent la poitrine des Orientaux ayant passé de nom- breuses années dans l'abondance, entourés de la vénération de tous. Une poitrine grasse vue de face et en silhouette n'a rien de spécialement caractéris- tique et, dans le cas présent, il était plus avantageux de dessiner nettement le torse de profil. C'est ce que l'on constate dans le tombeau de Nefer-seshem- Ra et dans les tombeaux voisins, où l'on croit retrouver, à certains indices, la même manière dans le traitement des figures principales (planches XVI et XV11). L'artiste a été incapable de surmonter les difficultés que présentait ici la représentation des bras. L'épaule gauche (planche XVI), de même que l'épaule droite (planche XVI 1), sont péniblement rattachées au cou, ainsi qu'au dos(i). Cependant, si nous tirions une ligne de la base antérieure du cou au sommet du sein, la figure tout entière nous paraîtrait supérieure à ce que les Égyptiens nous ont habitués à voir. Mais l'autre épaule aurait été cachée par le corps, et c'est ce que l'artiste n'a pu se résoudre à faire; il s'est imaginé peut-être qu'on n'aurait pas compris le mouvement du bras qui tient le bâton et qui aurait semblé sortir de la poitrine du personnage. Il a bien dû recourir au procédé que nous avons vu dans la planche XV et il a ramené en avant l'épaule telle qu'on la verrait de face, en lui faisant faire un quart de tour ; du coup, la figure entière devient une véritable monstruosité, qui nous choque plus que si elle avait été dessinée d'après le procédé ordinaire. C'est pour cela aussi que, sur la planche XVI 1, la main droite, qui pend le long de la jambe, est vue de face, alors que l'épaule a été dessinée avec la prétention d'être vue de profil. ]] y aurait évidemment encore bien d'autres remarques à faire pour essayer de rendre compte de toutes les anomalies des représentations égyp- tiennes. M. Pottier a dit excellemment (2) que les Orientaux ont représenté (1) Parce qu'il y a réellement un rabattement de l'épaule vue de face sur le torse vu de profil, comme l'a montré Madsen, Ei/i T{unsllerisches Experiment im allen r\eiche. dans la Zeitschrift fur Àgyplische Sprache und Aller- lumskunde, t. XL11. 1905, p. 65-69. (2) E. Pottier, Do u ris el les peintres de vases grecs, p. 1 iS : « En effet, après de longs efforts, ce sont les Grecs qui ont brisé les conventions tyranniques auxquelles s'étaient plies les artistes en Egypte, en Chaldée, en Assyrie. Ils ont renoncé à désarticuler l'être humain, sous prétexte de le montrer sous des aspects anatomiquement vrais. Ils ont substitué à la réalité factice du corps, dessiné partie par partie, la silhouette vivante, saisie dans la 25 il UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ les hommes tels qu'ils sont et non tels qu'on les voit. L'Égyptien a, en effet, toujours peur de ne pas montrer assez son modèle et il le dessine un peu, si on nous permet l'expression, de la façon dont nous pensons généralement à un homme, sans qu'à cette pensée se rattache l'idée d'un homme vu de face ou d'un homme vu de profil. Notre pensée en fait en quelque sorte le tour ; le dessin égyptien ne fait pas autre chose. Et puisque nous cherchons à tra- duire des procédés disparus depuis des siècles en nous servant de classifica- tions artistiques qui répondent surtout à des choses toutes modernes, on nous permettra de dire que les Egyptiens ont essayé de « faire de la ronde bosse sur un plan ». Nous avons terminé ainsi l'examen du premier tombeau de la rue. Une sépulture de la XVIIIe dynastie obstrue le passage et oblige à escalader les déblais avant de redescendre, quelques mètres plus loin, pour retrouver le niveau de la rue de la VIe dynastie devant la porte du tombeau de Ankh-ma- Hor. rapidité du mouvement reproduite avec ses inégalités de formes et ses dissymétries. Ce fut la victoire de l'art sur la science. On s'habitua à des trois quarts, à des perspectives, à des parties supprimées ou à demi cachées; on en vint à considérer la nature, non telle qu'elle est, mais telle qu'on la voit. L'orientation de l'art en fut changée com- plètement. )> 26 m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH II. TOMBEAU DE ANKH-MA-HOR A porte de ce tombeau (planche XV]]]), de même que celle du précédent, s'ouvre au milieu d'une petite façade, marquée par un retrait dans le mur du mastaba (planches XIX et XXII). De chaque côté, deux piliers en grès tranchent par leur cou- leur plus foncée sur le calcaire blanc; ils nous montrent le mort, debout, les deux mains pendantes, s'avançant vers la porte. Des inscrip- tions assez mutilées énumèrent les titres principaux d'Ankh-ma-Hor, dont le « bon nom » est Sesi, et qui sont à peu près les mêmes que ceux de Nefer- seshem-Ra. Sur les panneaux en calcaire blanc, le mort est représenté assis sur un siège, dont les pieds sont en forme de pattes de lion; il a revêtu le pagne, dont la partie antérieure s'avance raide en forme de triangle, et il tient le grand bâton dans la main gauche. Remarquons la manière dont le triangle du pagne, bien que vu réellement de profil, est représenté de face, par rabatte- ment sur le plan principal. Sur le panneau de droite (planche XXI 1), la figure humaine est tout à fait mal représentée. On s'attend à trouver la jambe gauche en avant, — car la gauche, en Egypte, est de bon augure; le côté droit, au contraire, était le côté du pays des morts, l'Occident, les Egyptiens s'orientant sur le Sud. Le sceptre de cérémonie se tient ordinairement de la main droite, et le personnage tout entier devrait, en quelque sorte, nous apparaître de dos, puisque les épaules sont dessinées en plan. La nécessité de montrer la poitrine du personnage a faussé la représentation : le bras droit tenant le sceptre devient le gauche, la jambe droite est en avant, ce qui n'arrive jamais en ronde bosse, et seul le sceptre, qui passe sous le bras qui s'avance, trahit la pose primitive qu'il s'agissait de rendre. Nous donnons sur les planches XX et XXI le détail de la grande figure de gauche, la mieux conservée. C'est un fort bon exemple de sculpture en relief dans le creux. Toutes les représentations des trois tombeaux sont en relief; seules les figures et les inscriptions des façades des IIe et IIIe tombeaux 27 g9 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ sont en relief dans le creux. Le choix de ce procédé est intentionnel : les façades étant tournées vers l'Est et très brutalement éclairées pendant une grande partie de la journée, le relief dans le creux était indiqué pour que figures et inscriptions ne fussent pas tout à fait noyées dans ce bain de lumière. Les inscriptions sont malheureusement mutilées ; la partie supérieure des lignes manque, et cette lacune est d'autant plus regrettable que les textes pré- sentent des formules rares, sinon uniques, que nous ne nous aventurerons pas à traduire dans cet état fragmentaire. Le mort s'adresse avec menaces aux vivants qui viendraient à son tombeau, soit pour le souiller, soit pour y manger des aliments interdits. A droite, notons, à la seconde ligne, une phrase rare où il est question du « prêtre récitateur qui vient au tombeau pour y accomplir les rites en conformité avec ce livre mystérieux de l'œuvre du prêtre récitateur (i) ». Les faces internes des piliers qui encadrent la porte (planches XXI 11 et XXIV) sont ornées de grandes figures du mort, vu de profil, dans la pose que nous avons remarquée sur les piliers du tombeau de Nefer-seshem-Ra (planches XVI et XVI 1). On peut se demander si ces sculptures ne sont pas de la même main. Que l'on compare les deux figures qui décorent les faces internes des piliers d'entrée du troisième tombeau (planches LXXV111 et LXX1X). A noter, par exemple, la manière typique dont les pieds posent sur la ligne du sol. salle i. Entrons dans le tombeau. Les murs de la première chambre ont assez souffert et seule une faible partie des sculptures subsiste. Elles se trouvent, comme dans toutes les salles, au-dessus d'un soubassement d'un peu plus d'un mètre de haut, qui porte encore de nombreuses traces de sa coloration noire, jaune et rouge. Le mur Nord, à droite de l'entrée (planche XXV), a conservé la majeure partie de deux registres de reliefs. Au premier registre (registre inférieur) à gauche, un scribe écrit ce que lui dicte un personnage qui se retourne vers lui. Deux groupes de deux hommes sont occupés à une opération qu'il nous est impossible de préciser et où certainement on manipule des pains et des (i) La lacune se complète par Lepsius, Denkmâler, 11, 72b, et Ergânzungsband, planche IX. 28 g| UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ® liquides. Est-ce la fabrication de la bière ? Au second registre, fortement mutilées, les mêmes scènes se continuent sous la surveillance d'un scribe, à gauche, et d'un directeur de magasin, à droite (^ <=> °^)- °n remarquera que, chaque fois que l'artiste a voulu indiquer le mouvement de l'épaule opposée à l'observateur, il a rabattu celle-ci sur le plan, comme nous l'avons vu sur les piliers du tombeau de Nefer-seshem-Ra. L'exemple le plus curieux est certes le personnage du premier registre, qui, incliné vers la droite, au-dessus d'un grand vase placé à ses pieds, retourne la tète et s'adresse au scribe assis derrière lui, prêt à enregistrer les indications qu'il recevra. Ici, l'exagération de l'épaule gauche est tout à fait déplaisante. Sans nous arrêter devant la porte qui conduit dans une vaste salle à piliers, à laquelle nous aurons à revenir plus tard, examinons les restes des sculptures du mur Ouest (planche XXVI). On ne voit plus qu'une mince bande décorée et qui a malheureusement subi, vers la droite, des mutilations irrémédiables ; une partie des représentations manque également au côté gauche. Le mur était vraisemblablement consacré à une scène de chasse à l'hippopotame. Le défunt, comme on le voit dans d'autres tombeaux, s'avance hardiment dans les fourrés de plantes au milieu desquels se cache son gibier favori et, le harpon à la main, attaque sans hésitation. Tout à fait à droite, dans la partie mutilée (au bas de la planche), on aperçoit un hippopotame. En l'examinant attentivement, on voit, au-dessus de son cou, des restes de la représentation des cordes qui immobilisaient l'animal harponné. Une scène de tombeau publiée par Prisse d'Avennes permet de restituer avec sûreté ce détail (i). A l'extrémité gauche (en haut sur la planche), on voit encore un autre hippopotame. Ici, c'est la femelle, et l'artiste égyptien, observateur attentif de la nature, l'a représentée à l'instant même où elle donne naissance à un petit. Un gigantesque crocodile semble attendre le moment de happer le jeune animal. Tout l'espace laissé libre est rempli par des lotus et des poissons si soigneusement exécutés, que des naturalistes pourraient les identifier sans difficulté ; nous pouvons y recon- naître notamment des poissons électriques. Le poisson à bec, nageant devant l'hippopotame femelle, paraît avoir été rarement figuré dans les bas-reliefs égyptiens et mérite de fixer l'attention des spécialistes. Fleurs, feuilles, bou- tons de lotus blancs et bleus, ont été dessinés avec un soin tout spécial par (i) Prisse (I'Avennes, histoire de l'art égyptien, d'aprèsles monuments. Paris, 1878, t. Il, pi. X. 29 @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH il l'artiste, qui nous donne ici un exemple excellent du souci de représenter l'entièreté de la nature avec une minutie qui n'a, semble-t-il, été égalée que par les Japonais. En face, du côté Est, deux registres sont conservés (planches XXVI] à XXX). Le mur était consacré à des scènes agricoles; le deuxième registre nous montre, en effet, les dernières opérations de la moisson : le dépiquage et le vannage. En allant de droite à gauche, nous rencontrons les scènes suivantes : Un homme debout, vêtu du pagne constitué de minces bandelettes flottantes, forme une meule au moyen de gerbes posées en tas à ses pieds. Ensuite, sept ânes écrasent les épis, excités par les coups de bâton de deux hommes qui se trouvent à chaque extrémité de l'aire. « Courage, vous autres, cama- rades, » dit l'un d'eux, qui fait face à un baudet récalcitrant, dont la physio- nomie amusante a été très spirituellement rendue. Un ouvrier qui, pour tra- vailler plus à l'aise, a retourné son pagne sur les reins, balaie les épis qui s'épar- pillent sous les pieds des ânes et les rejette dans l'aire. Les vivres des ouvriers sont placés à côté d'eux, dans une grande marmite, posée sur un support. Au centre, deux ouvriers terminent une meule. Un troisième ouvrier, agenouillé à la base de la meule et tenant en main sa fourche, est armé d'un instrument que nous ne pouvons reconnaître avec précision (est-ce un petit balai ?) et dont il se sert pour une opération difficile à déterminer. Ce groupe est séparé du sui- vant par des provisions destinées aux ouvriers. Ici, un homme debout, à côté d'une meule, balaie les grains et la paille devant une femme, occupée à vanner. L'instrument de vannage est formé de deux sortes de petites pelles en bois, au moyen desquelles la femme ramasse sur le sol les grains et les jette au vent, qui enlève la paille. Deux femmes encore nettoient les grains déjà débar- rassés d'une partie de leurs impuretés, en les soumettant à un nouveau vannage, puis en les passant au crible. Enfin, on voit la majeure partie de la figure d'une femme occupée, vraisemblablement, à un travail analogue. Au premier registre, on assiste à une scène fréquente en Egypte : des bouviers, montés sur deux légers canots, accompagnant leurs troupeaux qui traversent à gué un bras d'eau. A droite, le canot est occupé par quatre hommes, deux rameurs et deux bergers, qui tiennent la corde à laquelle est attaché un petit veau. Les bergers étendent le bras, raide, au-dessus de l'eau, dans la pose habituelle de la conjuration contre les crocodiles. On distingue, 3o Si UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH il en effet, sous la barque, un énorme saurien, dont la présence constitue un grave danger pour le bétail. Aussi le chef des bouviers, qui préside au pas- sage (i), emploie-t-il, pour l'immobiliser, la formule la plus puissante, à laquelle les sculpteurs égyptiens font fréquemment allusion dans les tableaux analogues des tombes de l'Ancien Empire (2). Le veau, tenu en laisse, se retourne et lèche un autre veau qui le suit ; celui-ci est, à son tour, léché par la première bète du troupeau, lequel se déroule en bon ordre jusqu'à l'extré- mité de la scène. On retrouve ici une nouvelle barque, sous laquelle un second crocodile, qui était en embuscade, a été immobilisé par la conjuration que prononcent deux bouviers. Dans le mur Sud de cette première salle s'ouvrait une porte, actuel- lement murée, qui conduisait à une petite chapelle consacrée au fils d'Ankh- ma-Hor; nous y reviendrons tout à l'heure. A côté de cette porte, des restes de reliefs mutilés permettent de croire qu'on avait représenté ici les domaines funéraires du mort personnifiés qui, à certaines fêtes, étaient chargés de fournir des offrandes au tombeau. Il avait sept domaines, désignés chacun par un nom. Ceux-ci ne sont plus recon- naissables que pour le cinquième et le septième $ J 1 1 HZ û J? et ^ ^ J P 0 © ZH \^\- " est ^ remarquer que le premier domaine avait un nom composé avec celui du roi Ounas de la Ve dynastie; on lit encore | (j 1 ]. En nous dirigeant vers la salle II, nous rencontrons, dans l 'entre-porte, salle il. des bas-reliefs, malheureusement incomplets, représentant des scènes de mar- ché (planches XXXI et XXXII). Des personnages, assis devant leur étal, discutent la valeur d'échange des produits qu'ils offrent en vente. A gauche, ce sont surtout des vivres, poissons séchés, légumes et fruits, qui sont l'objet des transactions. A droite (planche XXXI 1), le marchand offre à l'acheteur un poisson séché, en disant : « Regarde ces » Son interlocuteur, qui a sur l'épaule un coffret et tient de la main droite des objets indéterminés, semble donner accord et dit : « Parfait. » Derrière eux, un homme, chargé d'un cof- fret et d'une espèce de sac en cuir, a pris en main un chevet qui lui est tendu par un autre homme, qui lui dit : « Regarde cela. » A quoi il répond : « Ton (1) Voir Lepsius, Denkmàler, Ergdnzungsband, planches XI et XII. (2) Maspf.ro, la Culture et les Bestiaux, dans les tableaux des tombeaux de l'Ancien 'Empire, dans les Eludes égyp- itnnes, t. Il, Paris, 1888, pp. 107-108. 3i §9 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ travail, de même que le mien, est excellent. » Entre les deux se trouve debout un petit personnage chargé de divers objets. Il est fort regrettable que le reste des scènes ait disparu, car ces représentations de marchés sont très rares dans les tombeaux de l'Ancien Empire (i). Le mur Sud, que nous apercevons en premier lieu à notre entrée dans la salle 11, était consacré à de curieuses représentations de métiers (plan- che XXXI 11). Malheureusement, la perte des registres supérieurs n'a laissé subsister qu'une partie de ces scènes intéressantes. Au premier registre, à droite, répartis sur deux petits registres intermé- diaires, quatre ouvriers sont occupés à creuser et à polir des vases en pierre dure, ceux qui creusent employant de grands outils à forer, en forme de vilebrequins 9 (2). A côté, nous sommes dans l'échoppe des corroyeurs, coupant des sandales, assouplissant le cuir, achevant un sac semblable à celui que nous avons vu dans la scène du marché (planche XXXI ]). Plus loin, on fait l'inventaire des bijoux d'Ankh-ma-Hor. La scène se passe dans une salle supportée par des colonnettes à chapiteau en fleurs de lotus; le scribe inscrit les diverses pièces de bijouterie que l'on inspecte devant lui ; un petit registre intermédiaire est occupé par des nains, auxquels, semble-t-il, on confiait le soin de conserver les parures du maître, qui sont ici principalement des colliers et des contrepoids de colliers. Au second registre, à droite, nous assistons au travail des métaux. Sous un petit édicule, supporté par des colonnettes à chapiteau en fleurs de lotus, la pesée du métal est faite en présence d'un scribe. Quatre ouvriers activent la combustion du foyer au moyen de chalumeaux, tandis qu'un cinquième ouvrier, qui tient peut-être dans le foyer, au bout d'une pince, le métal à amollir, s'adresse à ses camarades en les excitant au travail. Derrière ce groupe, deux autres ouvriers battent à grands coups de pierres le métal, afin de le réduire en minces feuilles : ce sont les batteurs de l'or nécessaire pour les funérailles. A côté des fondeurs et des batteurs d'or, des sculpteurs préparent les statues funéraires. Les croyances animistes des Égyptiens rendaient néces- (1) Voir Maspero, Une représentation de bazar égyptien remontant à l'Ancien 'Empire, dans les Études de mytho- logie et d'archéologie égyptiennes, t. IV (Bibliothèque égyptologique, t. Vlll), p. ^Si-ïSy et planche; Lepsius, Venkmdler, ]], 96. (2) L. Borchardt, Beitrdge zu Griffith Béni Hasan 777, dans la Zeilschrift fur Àgyptische Sprache und Aller- iumskunde, XXXV, 1897, p. 107. 32 © UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH iJ saire à la survivance de l'âme la présence d'un soutien matériel, le corps; de là, les procédés de conservation de la momie. En vue de la destruction possible de celle-ci, on recourait à des statues en pierre dure, en calcaire, en métal, en bois, qui devenaient de véritables substitutions du corps. Afin de les mettre à même de remplir exactement ce rôle, il fallait qu'elles fussent des copies parfaites du modèle, et c'est cette idée qui imprime aux statues de l'Ancien Empire un cachet de naturalisme extraordinaire. Ces statues sont souvent placées en sûreté dans un réduit, appelé serdab, caché au cœur de la maçonnerie, et dont nous avons déjà signalé la présence dans le tombeau de Nefer-seshem-Ra. Un chef des sculpteurs achève au ciseau le bras d'une statue, sur la base de laquelle il se tient debout, lia passé sur l'épaule son herminette, outil au moyen duquel s'exécute le gros œuvre et qui nous indique que la statue est en bois. Le défunt est représenté debout, les deux bras pendants, vêtu d'un pagne qui serre étroitement les hanches, la tête couverte d'une calotte unie qui cache les oreilles. Une autre statue nous le montre dans la même position; mais, cette fois, le corps est entièrement nu et la coiffure est une perruque à petites boucles rangées en lignes horizontales., Un scribe d'un rang spécial, appelé Mesi, est occupé à la peindre : il tient dans la main gauche un godet avec la couleur, tandis que, de la droite, il promène légèrement son pinceau au bord de la coiffure. On remarquera qu'entre le peintre et la statue des martelages ont soigneusement effacé une partie de la représentation. Le mort était certainement, comme nous allons le voir par une autre statue, accom- pagné de son fils; c'est évidemment cette figure du fils qu'on a intentionnel- lement fait disparaître, alors que, par inadvertance, semble-t-il, on l'a laissée subsister immédiatement à côté. Un scribe est occupé, en effet, à une troisième statue du mort accompagné de son fils Jeshfi. Le défunt est vêtu du pagne, formant sur le devant un tablier triangulaire; il tient dans la main gauche son grand bâton et de la droite le casse-tête ou sceptre cérémoniel ; la perruque est unie et échancrée de façon à laisser passer les oreilles. Enfin, une quatrième statue n'est plus conservée que partiellement. Ici, deux ouvriers, dont le chef sculpteur, taillent et polissent. Le chef sculpteur, qui a passé son herminette dans la main gauche, frotte le bras de la statue, vraisemblablement au moyen d'un polissoir, tandis que s 33 m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH il son compagnon, accroupi à ses pieds, frappe à coups de marteau sur un ciseau. Les restes d'un troisième registre sont insuffisants pour qu'on puisse déterminer la scène à laquelle ils appartenaient. Le mur Ouest, que nous rencontrons maintenant (planche XXXI V), était probablement consacré tout entier à la capture des oiseaux de marais et à leur élevage à la ferme, scènes dont on pourra se faire une idée générale par un mur sculpté du troisième tombeau (planche LXXXV). Tout à fait à droite, mutilé dans sa partie supérieure, apparaît le mort, vêtu du pagne à tablier triangulaire, portant sur les épaules la peau de pan- thère, les pieds chaussés de sandales et s'appuyant sur son bâton dans une pose de repos que nous retrouverons plus loin. Derrière lui, placés à trois registres différents, étaient représentés trois petits hommes, dont le plus élevé, qui tient en main un bâton, porte le vêtement constitué de bandelettes flottantes. En dessous, le nain favori s'avance d'une allure tout à fait caracté- ristique : sur son épaule, retenu par une laisse, un singe apprivoisé esquisse un geste rappelant le pied de nez (planche XL1). Sous le nain, un mar- telage soigneux a fait disparaître une petite figure, qui devait être proba- blement celle d'un des fils du mort. Un autre se trouve debout devant son père : c'est l'ami unique, le prêtre récitateur Jeshfi, que nous avons vu déjà debout à côté d'Ankh-ma- Hor sur une des statues funéraires (planche XXXI ]]). Une grande ligne d'hiéroglyphes donnait le titre de la scène qui se déroule sous les yeux du maître de la tombe. « [11 surveille]... la capture au filet des oiseaux par les tendeurs de son éternité. » Dans les trois registres qui subsistent, complets et fragmentaires, plu- sieurs personnages, tournés vers le mort, s'avancent pour présenter les pro- duits de la chasse (planche XXXV). Ce sont d'abord, sur les deux registres conservés en entier, des fils du mort. Au premier registre, la figure et les inscriptions ont disparu sous un martelage soigneux : le signe pour fils <^ se distingue cependant encore. Au deuxième registre, c'est le fils aîné Jeshfi que nous venons cependant de rencontrer aux pieds de son père, assistant à la scène que nous analysons. Cela tient évidemment à la manière dont les tableaux étaient composés, au moyen de véritables cahiers de modèles. D'une part, on sculpte le mort accompagné de ses enfants ; d'autre part, les porteurs 34 S UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH 9 d'offrandes, à peu près tous dans la même pose. Ceux-ci sont ensuite identi- fiés à divers personnages de la famille ou de l'entourage du défunt, sans qu'on prenne soin de voir si aucun d'eux ne fait double emploi. Les autres porteurs d'oiseaux sont : au registre supérieur, un prêtre du « double » — donc un des prêtres attachés au service funéraire de la tombe — et un chef des médecins 1^=f 'g* dont le titre est intéressant à signaler. Au registre inférieur, immédiatement derrière les traces de martelage (planche XL), s'avance un personnage gros et gras, tenant de la main gauche quatre oies vivantes, tandis que, de la droite, il en apporte trois autres plumées et prêtes à être rôties. C'est le supérieur des prêtres du double, Hepi. Sa poitrine replète n'aurait pas été rendue de façon suffisamment réaliste par le procédé habituel ; aussi l'artiste a-t-il recouru au même procédé que nous avons signalé sur les piliers d'entrée du tombeau d'Ankh-ma-Hor. Il s'en servira une fois encore (planche LU) lorsqu'il aura à représenter le même Hepi. Il semble que nous nous trouvions ici en présence d'un procédé destiné à tra- duire d'une façon plus expressive le torse des personnages gras et non point, comme on pourrait le penser d'abord, d'une tentative artistique marquant un progrès sur la manière ordinaire de dessiner la poitrine « en face » sur un corps vu de profil. Derrière Hepi, et lui tournant le dos, le chef des tendeurs, s'appuyant sur un court bâton et portant un léger manteau en sautoir, surveille ses hommes occupés à manœuvrer un grand filet. La scène est décomposée en deux par- ties, disposées en deux registres superposés. En dessous (planche XXXV] 11), les oiseaux, oies et canards, qui nagent à la surface de l'étang dans une variété d'attitudes remarquable, sont venus s'engager à portée du filet. Sur le bord, on a représenté quelques plantes ; derrière une touffe, le nid d'une oie ; deux ibis et un héron complètent la série des oiseaux. La corde du filet traverse un écran formé de feuillages, derrière lequel s'est prudemment dissimulé le chef d'équipe, épiant le moment propice pour donner à ses camarades l'ordre de tirer. Quatre vigoureux gaillards tiennent solidement la corde, n'attendant que ce signal (planches XXXVI et XXX VU). Le moment est venu; par un mouvement très hardi, l'artiste égyptien nous montre (planche XXXIX) le chef d'équipe se retournant brusquement pour dire, si nous comprenons exactement : « Eh ! tendeur, la chasse est dans ta 35 @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ® main. » Immédiatement, d'un seul mouvement, qui est rendu au registre supé- rieur, les quatre hommes tirent de toutes leurs forces à la corde et se ren- versent en arrière, de façon à ajouter à leur effort tout le poids de leur corps. Sous cette traction puissante, le filet se referme et il n'y a plus qu'à prendre les oiseaux, à les enfermer dans des cages ou à les emporter par grappes, nous dirions volontiers par bouquets. Partout où l'espace s'y prêtait, on a représenté des plantes, des animaux, des insectes, formant ainsi un véritable paysage, où rien n'est négligé. Des accessoires du filet, piquets et cordes, des vivres pour les chasseurs, complètent cet ensemble, dont l'analyse détaillée nous entraînerait trop loin. Remarquons, au second registre, la disposition des plantes réparties au- dessus et au-dessous des tendeurs, de façon à bien montrer que les hommes sont assis au milieu des plantes. Une inscription malheureusement mutilée dit « cette chasse et le double de Sesi ». Ici, comme souvent, les inscriptions sont effacées là où elles semblent avoir été plus particulièrement curieuses. Cette scène de tenderie compte certainement parmi les meilleures sculp- tures du tombeau d'Ankh-ma-Hor et, pourrions-nous dire, parmi les meil- leures de l'Ancien Empire égyptien. L'artiste y a montré un souci du détail pittoresque rarement égalé, une minutie dans l'exécution qui ne nuit cependant pas à la vigueur de l'ensemble. Des gestes qui, ailleurs, sont simples et sché- matiques, comme par exemple l'application des mains à la corde du filet (voir planche LXXXV1), sont rendus ici avec une rare exactitude. L'homme qui se retourne étonnera ceux même qui croient le mieux connaître les attitudes des personnages de l'Ancien Empire. On ne trouve à lui comparer que l'homme poursuivi par un singe, actuellement au Musée du Caire (1), dont nous don- nons ici une nouvelle reproduction (planche Cl 11). 11 est aussi très intéressant de comparer cette scène à une autre analogue du troisième tombeau (voir planche LXXXV). Les artistes égyptiens travaillaient, on l'a remarqué depuis longtemps, d'après des cahiers de modèles. Le jour où l'on aura publié, en nombre suffisant, les tombeaux de l'Ancien Empire pour pouvoir recher- cher combien de scènes ont été copiées sur le même modèle, nous pensons (i) Maspero, Le Musée égyptien, t. II, pi. XI. 36 9 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ^1 que, tout en restreignant, en beaucoup de cas, la part de l'intervention indi- viduelle des artistes, on ne pourra s'empêcher de leur reconnaître cependant une habileté remarquable à varier les représentations des mêmes sujets et à en faire des tableaux d'une rare perfection. Les scènes de tenderie du tom- beau d'Ankh-ma-Hor et de Nefer-seshem-Ptah compteront probablement parmi leurs plus remarquables repoductions. Le mur Est de la salle 11 n'a conservé que des traces insignifiantes des scènes qui y étaient sculptées. A peine peut-on distinguer, à gauche, les pieds du mort tourné vers la droite ; devant et derrière lui, les pieds de deux de ses fils, probablement. Les derniers signes de deux lignes d'inscriptions n'ap- prennent absolument rien. On peut cependant encore reconnaître que, devant le mort, s'avançaient des hommes apportant des poissons : ce mur était donc vraisemblablement consacré à des scènes de pêche, faisant pendant aux scènes de tenderie du mur d'en face. Au mur Nord (planche XLU), nous rencontrons une première procession d'offrandes. A partir de cet endroit, elles vont constituer la majeure partie de la décoration des murs. On pourrait dire, peut-être, que les premières salles étaient consacrées à la préparation lointaine et médiate des offrandes qui vont être représentées à satiété sur les murs des autres salles. Les processions d'offrandes sont toutes dirigées vers le fond de la salle IV, où se trouvait la stèle; c'est là, en effet, que doivent arriver tous ces serviteurs uniquement occupés à pourvoir le maître de ce dont il a besoin dans sa vie funéraire. Ici, exceptionnellement, les porteurs d'offrandes marchent vers la droite, vers l'extérieur du tombeau, sans qu'on puisse en découvrir la raison. La scène, dont deux registres entiers sont conservés, est sculptée avec une rare perfec- tion et une souplesse de ciseau tout à fait remarquable. On y voit encore, et il en est de même dans les salles suivantes, des traces nombreuses de la riche polychromie qui, relevant autrefois les sculptures, en faisaient de véritables copies de la nature, dont la valeur magique aurait été nulle sans cette soigneuse application de couleurs. Il ne nous a pas été possible de noter par le menu les traces de peinture : ce travail, qui serait, nous le reconnaissons, fort utile, aurait nécessité de nombreuses heures dont nous ne pouvions malheureusement disposer. Nous ne songerons pas non plus à décrire en détail les processions de 37 @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ porteurs d'offrandes que nous allons rencontrer. La détermination de tous les objets destinés au mort nécessiterait vraisemblablement de longues recherches d'ordres les plus divers. Nous devrons donc nous borner à souligner quelques points qui nous paraissent particulièrement intéressants, laissant peut-être de côté certaines choses curieuses dont de plus experts auraient tiré des conclu- sions notables. Les porteurs d'offrandes sont ici principalement chargés, au registre supérieur, de vases et de coffrets. L'un d'entre eux mène en laisse un singe (i). Les trois derniers delà rangée apportent des étoffes destinées à renouveler la garde-robe du défunt. A côté de deux porteurs, on a gravé un titre et un nom : chefs du kiosque Tua et Tetiankh. Ce titre se rattache peut-être à la coutume d'ériger, lors des funérailles, tout le long de la route qui conduisait de la mai- son à la tombe, de petits kiosques en matériaux légers, que l'on garnissait abondamment de vivres, à l'intention de l'âme du défunt (2). Au registre inférieur, ce sont principalement des victuailles que l'on apporte. Trois hommes chargés de paniers, équilibrés sur les épaules par une briche, s'élancent avec légèreté, les pieds garnis de sandales touchant à peine le sol. « Fais-moi place ! » crie l'un d'eux aux porteurs qui le précèdent et qui s'avancent trop lentement à son gré (planche XL111). Si nous essayons de nous représenter le mouvement exact de chacun de ces coureurs, nous ver- rons combien l'artiste égyptien a été amené, par l'indigence de ses procédés, à des attitudes absolument impossibles à prendre ; et cependant on ne peut nier que l'ensemble n'aie une allure élégante, qui donne bien l'impression de course rapide qu'on cherchait à rendre. Que l'on remarque spécialement la façon dont les pieds s'appuient sur le sol dans une position que, sur la foi des manuels, on s'étonnera peut-être de trouver dans l'art égyptien. Dans la porte qui conduit de la salle 11 à la salle 111, nous rencontrons des bouviers qui amènent le bétail nécessaire au sacrifice. Du côté Nord (planche XL1V), un bloc de pierre a disparu, emportant tout un registre des reliefs. Au premier registre, deux hommes conduisent une antilope mâle, l'un lui tenant le museau et la base des cornes, l'autre posant la main sur le dos (1) Comparez avec le singe de la planche CVI. (î) H. Madsen, Die Todlenfeier im Garten, dans la Zeitscbrift fur àgyplische Sprache und Allerlumskunde, XL11I, 1906, pp. S1-S4, où l'auteur interprète les faits un peu différemment. 38 9 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH © et exerçant une pesée sur l'extrémité des cornes. « Amène à toi fortement ! » dit-il. Derrière, une gazelle est conduite par deux hommes, dont l'un recom- mande à son camarade « de la bien tenir ». Un jeune faon, qui accompagne sa mère captive, est occupé à têter. L'inscription horizontale dit qu'on conduit le gibier du désert qui lui est amené (au mort) par les prêtres du double. Au second registre, les bouviers, surveillés par le chef bouvier, se sont mis à six pour abattre un solide bœuf. Us lui tournent la tète vers la gauche, poussent l'arrière-train à droite, cherchant à déplacer brusquement les jambes de la bète, qui va perdre l'équilibre et s'abattre sur son côté droit. Cette scène est habilement traitée et compte certainement parmi les meilleurs morceaux de la tombe. Le même sujet est reproduit sur le mur d'en face (planche XLV) avec des variantes d'attitudes intéressantes à examiner et qui indiquent certai- nement une autre main. L'inscription dit que les prêtres du double de son éternité amènent le bœuf. Remarquons la façon dont le chef bouvier s'appuie sur son bâton, dans la position que nous indiquions pour Ankh-ma-Hor au mur Ouest de la salle 11 (planche XXXI V.) La coiffure de ce même person- nage, un long bonnet descendant sur le dos jusqu'à la ceinture, est peu com- mune, pensons-nous. Du côté Nord (planche XLV), l'entreporte est entière, bien que la sur- face ait été légèrement détruite à la partie supérieure. Au premier registre, deux hommes conduisent une antilope mâle. L'un, tenant l'animal par une des pattes de devant et par les cornes, crie à son camarade : « Fais avancer cette antilope, car le prêtre récitateur arrive, » ce qui revient à dire : « Dépêche-toi ou nous serons en retard. » Derrière l'antilope s'avance un petit veau, retenu par une corde attachée à une de ses pattes de devant. L'homme qui le tient porte, dans la main gauche, trois oies vivantes et s'écrie, si nous comprenons exactement l'inscription : « Voilà ce qui me fait l'ami du chef de tenderie. » La ligne horizontale d'hiéroglyphes dit : « Les prêtres du double de son éternité amènent les présents. » Au deuxième registre, nous trouvons figuré, comme nous l'avons dit déjà, l'abatage d'un bœuf, scène semblable à celle qui fait face. Au troisième registre, on voit une gazelle et un bubale conduits par trois bouviers. Au cou des animaux sont suspendus deux objets qui res- 39 @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH §1 semblent aux contrepoids des colliers. On pourrait supposer qu'il s'agit de masses assez pesantes destinées à entraver les brusques mouvements de la tète et à éviter aux conducteurs de rudes coups de cornes (i). Un des bergers, celui qui pousse la gazelle, dit à son compagnon : « Amène-la à toi. » Trois murs sur quatre, dans la salle 111, ne présentent que des proces- sions d'offrandes, ce qui est évidemment de nature à diminuer l'intérêt des représentations. Au mur Nord (planche XLV1), Ankh-ma-Hor, debout, regardant vers la droite, accompagné d'un de ses fils, reçoit les présents que lui apportent quatre groupes de serviteurs. La rangée supérieure a entièrement disparu. Au premier registre, on lui offre tous les bons fruits de ses villes et de ses châ- teaux du Nord et du Sud, c'est-à-dire de ses propriétés dans la Basse et la Haute Egypte; au deuxième registre, toutes les bonnes choses qui lui sont apportées en offrande royale; au troisième registre, les oiseaux et les bons fruits. Contentons-nous de remarquer, dès maintenant, combien les porteurs sont chargés d'offrandes diverses ; on en a mis partout où l'espace s'y prê- tait. Voyez, par exemple, le quatrième porteur du deuxième registre. Sur ses épaules, il a posé un petit veau, dont il tient les pattes au moyen de sa main gauche ; à son bras gauche pend une bourriche en paille ; de la main droite, il tient trois oies vivantes, tandis qu'à son bras est suspendu un lourd panier rempli de fruits, et comme si cela ne suffisait pas encore à l'occuper, il pousse devant lui un second veau. Souvent, on a négligé de sculpter les liens qui rat- tachent aux bras les divers récipients, se bornant à les indiquer en pein- ture ; depuis que celle-ci a disparu, ces fardeaux paraissent suspendus dans le vide ou posés sur le sol à côté des porteurs. (Voir, par exemple, plan- ches XLVI1 et LI.) Le mur Ouest de la salle 111 nous montre également Ankh-ma-Hor rece- vant des offrandes. Il est représenté, debout, regardant vers la droite, tenant son bâton et son casse-tête ; il a revêtu la peau de panthère et chaussé les san- dales. Derrière lui, une petite figure d'homme, vraisemblablement un de ses fils. Devant lui, à hauteur de la poitrine, une inscription en trois courtes lignes (i) On pourrait peut-être comparer Capart, Les Débuis de l'art en Egypte, fig. ■ 63 et p. i35. 40 @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH H horizontales donne les titres : « le chef de tous les travaux du roi dans la terre entière, scribe des ouvriers charpentiers du roi (?) 1 J^ jfiji Sesi ». Devant le mort encore, un petit homme debout, sans nom ; puis un autre qualifié notam- ment de « vénérable royal » appelé Temru. C'est, comme nous le verrons plus loin, le frère d'Ankh-ma-Hor. Devant ce dernier et empiétant sur l'espace des- tiné aux porteurs d'offrandes auxquels il fait face, l'ami unique Jeshfi.un des fils du défunt, comme nous le savons déjà. Ce qui fait l'intérêt particulier de ce mur (planche XLVU), c'est la présence, parmi les porteurs d'offrandes, d'un personnage que nous avons déjà rencontré, le scribe de la bibliothèque religieuse du roi, scribe de la maison de purification, Mesi, qui, au mur Sud de la salle 11 (planche XXXI 11), était occupé à peindre les statues du mort. Ce soin paraît donc avoir été confié à des gens ayant, en plus de leur habileté artis- tique, une compétence spéciale en matière religieuse et magique. Mais ce qui est plus curieux encore, c'est de constater le soin tout particulier avec lequel le nom de ce Mesi a été écrit. Le premier signe, le syllabique [fi mes, dont la signification en tant qu'objet représenté a été si longtemps discutée, apparaît avec une extrême précision, aussi bien ici qu'à la salle II (planche XXXI II). On y reconnaît, à première vue, trois peaux de petit rongeur attachées par la tête à un objet difficile à identifier. C'est là une confirmation intéressante du dessin gravé sur un modèle de sculpteur d'époque saïte, conservé au Musée du Caire et qui aurait pu passer pour une fantaisie d'artiste (i). Une scène fort curieuse du tombeau de Meri, que nous reproduisons (planche Cl V), prouve que cet instrument n'est autre chose qu'un chasse-mouches. Meri, assis sur son canapé, tient son chasse-mouches de la main gauche et joue avec un petit bâtonnet, qu'il fait tourner dans sa main droite. Il semble écouter distraitement la musique qu'exécute sa femme, assise devant lui. Au premier registre, où deux serviteurs sont conservés, on apporte à Ankh-ma-Hor des graines, des oiseaux ; au deuxième registre, où Mesi seul subsiste, on amène le présent qui est apporté ; au troisième registre, trois porteurs amènent tous les produits des travaux des champs apportés en offrande royale. Il reste des traces d'un quatrième registre. Une porte qui s'ouvre dans ce mur Ouest, conduit à un magasin destiné au mobilier funé- (i) G. Daressy, Un modèle du signe (fi. dans les Annales du Service des Antiquités de lÉeuple, t. IV iqo3 p m- n3 et planche. m 6J^ 9 ' 4> m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH §1 raire et plus spécialement à la garde-robe du mort. Nous y reviendrons plus tard. Au mur Est de la salle 111 (planche XLVI11), les processions d'offrandes se retrouvent de nouveau. Ankh-ma-Hor, qui les reçoit, est ici conservé à peu près entièrement; plusieurs détails de cette grande figure méritent de retenir notre attention. Le mort est représenté dans la pose ordinaire, debout, la jambe gauche en avant, tenant dans la main gauche son grand bâton et, dans la droite, son casse-tête. La nécessité de le montrer, regardant vers la gauche, a complètement transformé l'ensemble, comme nous avons eu déjà l'occasion de le remarquer précédemment. Toutefois, le sceptre ou casse-tête passant derrière le corps indique nettement quelle était la position primitive, celle que l'on retrouve d'ailleurs toujours sur les statues. Ankh-ma-Hor a la tête couverte d'une large perruque évasée, s'étalant sur les épaules et qui est souvent reproduite en ronde-bosse ; sous le menton, on aperçoit une petite barbiche, qui n'est pas des plus fréquentes dans les monuments égyptiens. La poitrine est ornée d'un large collier, de deux bandes qui s'entre-croisent et d'une amulette suspendue à un lien sur lequel sont enfilées quatre longues perles cylindriques. Le pagne est orné sur le devant d'un pendentif terminé par des rangs de perles. L'amulette suspendue au cou est tout à fait curieuse et peut être rapprochée de rares spécimens, dont l'un est notamment représenté dans le tombeau de Ti (i). Ne pouvant pas nous attacher ici à l'analyser de près et à en étudier la signification, nous nous contenterons de dire qu'il faut vraisemblablement y reconnaître la survivance des curieux ivoires en forme de chevilles terminées en tête humaine, découverts dans les tombes préhistoriques (2). Trois registres de porteurs d'offrandes sont conservés. Dans le premier, on amène les offrandes funéraires apportées en offrande royale et données par les prêtres du double ; au deuxième, où l'indication est la même, on lit encore devant le premier porteur : « Apport du présent par le lac de son éternité. » Aux deux registres, en dessous de la première ligne d'inscription, on en a (1) Dans la porte conduisant du vestibule à pilier au couloir des chambres. Voir encore Mariette, Tes Mastabas de l'Ancien Empire, p. 465-467. Pour les bandes croisées sur la poitrine, voir Daressy, Un Poignard du temps des rois Pasteurs, dans les Annales du Service des antiquités de l'Egypte, t. Vil, 1906, p. 1 16-1 18 et surtout note 1 de la p. 118. (2) Capart, Les Débuts de l'art en Egypte, fig. 140. 42 19 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ ajouté une seconde qui contient une formule rare, sous l'Ancien Empire tout au moins, et qui se rattache au rituel des funérailles. Le défunt est assimilé aux dieux : tout ce qu'on fait pour les dieux, on le fait pour le mort. Ici le texte dit : « Ce pain pur d'Osiris, ce pain pur d'Anubis, c'est (le pain pur) de Sesi l'estimé (d'Osiris ou d'Anubis). » Au registre supérieur, quatre porteurs d'offrandes encore ; les têtes manquent. Le mur Sud de la salle III (planche XL1X), avec la porte qui s'ouvre vers la salle IV, ne présentait pas un panneau suffisamment large pour per- mettre de renouveler encore les présentations d'offrandes au mort. C'est pro- bablement à cette disposition que nous devons de trouver ici une scène nou- velle, qui présente un assez vif intérêt. Ankh-ma-Hor est debout, dans la pose habituelle, regardant vers la droite, accompagné de trois de ses fils. Un petit personnage lui faisait face au registre inférieur et, bien qu'il ait été effacé avec un soin tout à fait minu- tieux, sa silhouette est cependant encore reconnaissable, debout, le matériel habituel des scribes à ses pieds. Les signes ^* que l'on devine encore sous les martelages, prouvent qu'il s'agit encore une fois d'un fils que, dans un but déterminé que nous chercherons à préciser plus tard, on a voulu faire dispa- raître de la tombe du père. L'inscription tracée au-dessus de la tête du petit personnage indique ce qu'il était occupé à faire : « il lisait l'acte d'enseve- lissement, à lui accordé en offrande royale ». Un ensevelissement où l'on mettait en oeuvre, comme nous l'avons dit, des procédés magiques autrefois réservés au roi seul, ne pouvait avoir lieu sans que celui-ci eût accordé son autorisation ; c'était une faveur assez rare, dont les grands de l'Egypte avaient soin de se vanter dans leurs inscriptions funéraires. Il en sera de même plus tard, lorsque le roi permettra de placer dans les temples des statues funé- raires. Le double du personnage représenté participait de la sorte aux sacri- fices qui s'accomplissaient sur l'autel du dieu. Dans ce dernier cas, nous sommes en présence de la théorie de l'assimilation ou de la substitution du roi au dieu qui réside dans le temple, substitution magique accordée, petit à petit, à ceux que le roi désire favoriser. 11 est probable que la lecture de l'acte royal accordant au mort des funérailles, vraisemblablement payées par le trésor royal, était une des céré- monies de la mise au tombeau; c'était, pour les prêtres, la justification et, 43 19 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH §1 pour les assistants, l'explication des cérémonies qui allaient avoir lieu avant que la momie disparaisse pour toujours au fond du caveau funéraire. C'est, pourrait-on dire, en employant une comparaison toute moderne, la lecture publique du décret accordant à un grand citoyen des funérailles célébrées au frais de l'Etat. Au-dessus de l'inscription relative à cette scène, dans l'espace laissé libre, on a représenté, posés sur des tables, divers objets d'habillement et de parure, colliers, bracelets, contrepoids de colliers, etc., dont la présence en cet endroit peut se justifier assez aisément. Immédiatement à côté de ce panneau s'ouvre, en effet, la porte du magasin contenant le mobilier funéraire et dont nous nous occuperons plus tard. Le frère d'Ankh-ma-Hor, Temru, est debout, à côté des tables ; il porte au cou un large collier et, sur les épaules, une sorte d'écharpe ornée, assez rarement figurée. Le modelé de la figure principale est spécialement soigné dans ce tableau et fait vivement regretter la perte de la partie supérieure du corps. Un frag- ment (planche L), donnant seulement les genoux et une partie de la jambe, montrera tous les efforts de l'artiste pour traduire exactement la musculature et faire sentir le squelette sous la chair. salle îv. La porte qui mène de la salle 111 à la salle 1 V est décorée de scènes de porteurs d'offrandes. Celles-ci se déroulent avec monotonie, mais donnent presque toutes cependant des détails curieux à noter. Du côté Est (planche Ll), les trois registres sont conservés ; le troisième, malheureusement, dans un assez mauvais état. Au premier registre, on amène en présent tous les bons fruits apportés du Nord et du Sud, on amène des figues, des fruits de Y n ^^Q (j), du vin, apportés en offrande royale. Au deuxième registre, où deux porteurs sont identifiés avec des supé- rieurs de prêtres du double (l'un est appelé préposé aux prêtres du double de l'Occident), on amène des oiseaux, des grains, de la bière et toutes les bonnes choses apportées des villes du Nord et du Sud, à toutes les fêtes et tous les jours. Au troisième registre, on amène de ses châteaux du Nord et du (i) Loret, La Flore pharaonique, Paris, 1892, p. ioj-io3 : Balanites aegyptiaca, L. 44 S UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH 19 Sud des pièces de viande et toutes les bonnes choses apportées par les prêtres du double de sa maison d'éternité. Du côté Ouest (planche LU), deux registres seulement sont conservés. Au premier, on amène en présent tous les bons fruits apportés de ses villes du Nord et du Sud, on amène des figues, des fruits de h 1_i^J A , du vin, chaque jour par les prêtres du double de son éternité. Au second registre, quelques détails intéressants viennent rompre l'uni- formité de ces scènes. Ici on apporte des oignons, en plus des offrandes citées au registre qui fait face. Le premier porteur est le supérieur des prêtres du double, Hepi, que nous avons rencontré déjà dans les scènes de tenderie de la salle U (voir planche XL). On lui a donné derechef la position entièrement de profil, évidemment dans le but de bien marquer l'épaisseur de ses formes. Derrière lui s'avance un préposé aux scribes des colons ou fermiers attachés aux domaines (i), Irnjechet, lequel, outre le fardeau habituel, s'est encore suspendu au cou des pigeons, dont les ailes sont attachées par un lien. Le troisième porteur est le scribe de la confrérie des prêtres du double ; c'est lui qui, probablement, était gardien des registres sur lesquels était con- signé l'ordre de roulement des prêtres pour les services funéraires. De même que son camarade qui le précède, il n'a pas jugé que son fardeau fût suffisant et il porte autour du cou quatre oies, qui semblent seulement attachées par l'extrémité de leurs ailes, et présentant ainsi l'aspect d'une espèce de collier d'un effet fort original. Nous entrons à présent dans la salle IV, qui est l'endroit où viennent se réunir toutes les processions d'offrandes. Les ouvriers qui travaillent sur les murs des premières salles destinent leurs produits à la salle IV, qui est la véritable antichambre des appartements du mort. Dans le fond, se trouvait la stèle en forme de porte par laquelle Ankh-ma-Hor passait pour venir cher- cher les aliments que lui avaient préparés les prêtres du double, pour renou- veler ses vêtements et son mobilier, chaque fois que le besoin s'en faisait sentir. Une sorte de banquette en pierre constituait l'autel sur lequel venaient s'accumuler toutes ces provisions ; stèle et banquette ont disparu actuelle- ment, bien qu'elles soient marquées sur le plan publié par M. Loret. On se (i) Maspero, La Carrière administrative (Etudes égyptiennes, 11, 2' fascicule). Paris, 1890, p. 140. 45 @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ fera néanmoins une idée de l'aspect qu'elles présentaient en visitant le troisième tombeau, où elles sont conservées intactes. Nous avons vu que les porteurs d'offrandes s'acheminaient tous vers cet endroit du tombeau ; c'est également dans cette direction qu'ils conduisaient les animaux vivants qui devaient fournir la viande de boucherie. L'abatage avait-il réellement lieu ici? Ce n'est guère probable, l'étroitesse de la salle, sur- tout dans le troisième tombeau, s'opposant à de telles opérations. 11 faut songer que les représentations gravées sur les murs assuraient le renouvellement des provisions : le jour de l'enterrement, les victimes avaient sans doute été abat- tues à l'extérieur du tombeau et les divers morceaux empilés ensuite sur la table d'offrande. Sur le mur Est de la salle, nous trouvons des scènes fort complexes relatives à l'abatage et au dépeçage des animaux. Deux registres, ainsi que la partie inférieure d'un troisième, sont à peu près entièrement conservés. Ici, nous ne nous le dissimulons pas, il aurait peut-être été nécessaire de repro- duire en détail les deuxième et troisième registres ; le mauvais éclairage, la colo- ration défavorable de cette partie du mur nous en ont détournés. Ces scènes d'abatage, sans avoir une importance capitale, seront intéressantes à reprendre le jour où l'on voudra faire une étude d'ensemble des matériaux qui se ratta- chent à cette question (planche LUI). Nos planches L1V, LV et LV1, qui détaillent le premier registre, le mieux conservé, donneront pour le moment une idée suffisante des tableaux. La conversation est des plus animées entre les bouchers, leurs surveil- lants et les serviteurs qui viennent chercher les pièces découpées, prêtes à être portées sur l'autel. Essayons de traduire, à titre d'exemple, quelques-unes de leurs paroles. Trois bouchers sont occupés à couper les jambes d'un bœuf; l'un, qui coupe la jambe de devant, tenue en place par son camarade, lui dit : « Tiens fort camarade, que je mette cette jambe sur l'autel ; vite. » A quoi l'autre répond : « Vas-y à ton gré, je tiens bien. » Le troisième, qui tranche la cuisse, se retourne pour dire : « Regarde, je viens avec toi, vite, aujourd'hui. » Un boucher, qui tire hardiment à une corde pour lier les jambes d'un bœuf, éprouve le besoin de s'écrier : « Qui est un solide gars ? Moi. » Un autre encore, qui, sans aide, coupe l'épaule d'un bœuf, dit : « Ce n'est pas facile de faire cela tout à fait seul ! » 46 S UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH S Le registre inférieur, que nous reproduisons en détail, est mutilé à la droite. Au premier groupe qui soit complet (planche LV), deux bouchers dépècent un bœuf. Que l'on remarque le mouvement extraordinaire des épaules ; on y retrouve ce que nous avons déjà constaté dans les représenta- tions des piliers de Nefer-seshem-Ra. Le boucher est vu de profil ; seule l'épaule, dont l'artiste a peur qu'on ne saisisse pas le mouvement, est rabattue sur le plan après avoir subi un quart de tour. Tout ce registre, où les figures sont d'ailleurs de dimensions plus grandes que dans les registres supérieurs, est exécuté avec un soin et une délicatesse de main tout à fait remarquables, que nous rencontrerons encore dans la scène d'abatage du troisième tombeau (voir planche Cl). 11 est probable que les deux scènes ont été exécutées par le même artiste. Les murs Nord et Sud de la salle IV, se dirigeant vers la stèle, ne pou- vaient être autrement remplis que par des figures de porteurs d'offrandes s'avançant vers le mort, assis devant sa table. Au troisième tombeau, nous pourrons nous faire une excellente idée de cette représentation. Au-dessus de la table, se trouvait nécessairement ce qu'on appelle la « pancarte », le menu des repas du mort, avec l'indication de tous les aliments que le défunt pouvait désirer dans son tombeau. Les éléments de cette liste, disposée en cases régu- lières, se retrouvent à peu près tous dans les scènes d'offrandes qui, depuis l'entrée du tombeau, se déroulent en processions interminables (i). Sur les deux murs, les représentations du défunt et de sa table ont disparu ; du côté Sud (planches LV]], LVUI et LIX), on voit encore l'amoncellement des vivres que l'on déposait devant la table et dont chacun des prêtres ou serviteurs apportait sa part. La longue ligne d'hiéroglyphes qui accompagne la représentation spécifie que des offrandes doivent être apportées par les prêtres du double à diverses fêtes déterminées, ainsi que chaque jour. Au registre inférieur, trois personnages sont désignés par des inscriptions. L'un d'entre eux (le septième en commençant par la droite) est qualifié de « mani- cure » et s'appelle Ptahshepses. Le mur Nord (planches LX, LX] et LX11) est décoré de la même manière, mais son état de conservation permet de mieux apprécier le travail, qui est excellent. (i) Voir pour l'analyse d'une de ces listes, Capart, Chambre funéraire de la VT dynastie aux Mutées royaux du Cinquantenaire. Bruxelles, Vromant, 1906. 47 m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ^ La variété des animaux conduits en laisse mérite certainement d'être remarquée. Ici, comme dans les scènes analogues qui précèdent, il y aurait bien des choses importantes à signaler au point de vue zoologique ou au point de vue ethnographique; mais cela n'est pas de notre compétence ou risquerait de nous entraîner dans des détails qui pourraient paraître fastidieux. L'insuffi- sance des recherches préliminaires nous obligerait, d'ailleurs, à recourir constamment à des termes vagues qui n'expliqueraient rien et dont nous pré- férons nous abstenir. Il suffira de noter combien de telles représentations seront précieuses le jour où, s'aidant de l'ethnographie comparée, on pourra reconstituer définitivement la physionomie de l'Egypte à l'époque de l'Ancien Empire. Un détail curieux mérite de nous arrêter encore un instant. Au registre inférieur, on distingue, sous deux des animaux, des traces d'une esquisse que l'on a abandonnée au cours de l'exécution finale. Le quatrième animal, une antilope (planche LX), et l'avant-dernier animal, un veau (planches LX1 et LX11), ont remplacé une hyène, dont la silhouette avait déjà été gravée sur le fond. On le reconnaîtra surtout en se reportant au troisième tombeau, où une des scènes d'offrandes de la salle II nous montre une hyène (voir planche LXXXI1). Arrêtés au seuil de la fausse porte que seul le mort a le droit de fran- chir, revenons sur nos pas pour visiter les salles que nous avions négligées dans notre marche vers le sanctuaire. salle v. Dans la salle II], nous l'avons dit, une porte s'ouvrait dans le mur Ouest : elle conduisait dans un magasin destiné à renfermer le mobilier funéraire. Aussi, dès l'entreporte, voyons-nous les serviteurs, chargés des divers objets dont il se composait, s'acheminer vers l'intérieur de la salle. 11 est assez curieux de remarquer que les vases et ustensiles ne sont pas proportionnés à la taille des porteurs, mais plutôt, ce qui est naturel, à la taille du mort tel qu'il est représenté sur les divers murs. Au côté Sud de l'entreporte (planche LX111), les trois registres de reliefs sont conservés. Au premier, quatre hommes s'avancent, tenant dans chaque main une bandelette d'étoffe : on apporte les vêtements de l'offrande royale, dit l'inscription. Au-dessus, aux deuxième et troisième registres, six 48 m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH S hommes tiennent, de la main gauche, des vases contenant des huiles et essences. A côté de chacun des vases se trouve le nom de l'huile. A côté du dernier vase, à gauche en haut, on a inscrit deux noms, de façon à compléter la liste des sept huiles habituellement employées. De la main droite, chacun des porteurs tient, en outre, une pièce de la parure ou de l'habillement, ou bien un vase. De plus, quand l'espace s'y prêtait, d'autres objets sont encore pendus au bras ou à la main. On reconnaît facilement un sac à fard pour les yeux, des espèces de foulards, tels qu'en portait le frère d'Ankh-ma-Hor sur le mur voisin (planche XL1X), des contrepoids de colliers, un collier et (à droite en haut) un curieux ornement de cou, assez rarement figuré. Il est composé d'un collier à fermoir, auquel est suspendu une amulette en forme de fleur de lotus, avec un serpent dressé de chaque côté de la fleur. Cet ornement se retrouve figuré sur les cercueils de momies du Nouvel Empire. Nous pouvons reconnaître sur ce mur un procédé employé par les sculp- teurs. Souvent, au cours de leur travail, ils rencontraient dans le calcaire des noyaux plus durs qui ne se prêtaient pas à la sculpture. Parfois, ils réussis- saient à les user, comme on peut le voir, par exemple, à la salle V] (planches LXX1 et LXXI1) ; parfois, au contraire, ils étaient obligés de les faire dispa- raître entièrement, laissant à la surface des cavités à combler. Dans ce dernier cas, on recourait à deux expédients, dont l'un consistait à régulariser la cavité et à la combler au moyen d'une pièce rapportée (i), comme on peut le voir sur le panneau Sud de la façade (planche XX). L'autre procédé, celui que nous avons ici, consiste à emplir la cavité d'une espèce de mortier dont la surface se prêtait à la sculpture. La « couture » était évidemment cachée sous la peinture. On verra mieux la restauration à la partie supérieure du second registre, comme aussi dans la salle VI (planche LXXJ1), à l'angle inférieur gauche de la scène des funérailles. Du côté Nord (planche LXIV), la procession se continue. Au premier registre, deux hommes portent un grand coffret, qui, d'après l'inscription, contenait des pièces de vêtement. Le texte dit formellement qu'on les porte dans le magasin, confirmant ainsi la destination de la salle V. ^ Jl) Voir de bons exemples pour l'époque du Nouvel Empire dans Pet«,b. Tell cl Amarna, planche XI, n" 49 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH Aux deux registres supérieurs, six prêtres du double complètent l'assor- timent des vases, bassins et supports indispensables au mort. Seul le mur Est de la salle V a conservé une partie de sa décoration (planche LXV). A gauche, on aperçoit encore le bâton d'Ankh-ma-Hor, qui faisait face à ses serviteurs. Au premier registre, quatre hommes, placés deux à deux, portent un grand coffret scellé ; ils sont suivis par le fils du défunt, dont la figure et le nom ont été, cette fois encore, soigneusement mutilés. Derrière lui s'avance un nouveau groupe de quatre hommes, portant un autre coffret. Au deuxième registre, deux coffrets encore, portés chacun par quatre hommes; puis un serviteur tenant à deux mains un grand vase; enfin un sur- veillant. 11 ne reste plus que des traces de la décoration du troisième registre. Le sculpteur se trouvait ici dans la nécessité de représenter devant et der- rière chacun des coffres deux porteurs placés l'un à côté de l'autre, ce qui n'était pas sans présenter des difficultés sérieuses. Dans la majorité des cas, il s'en est assez bien tiré et le personnage le plus éloigné de notre œil est sim- plement dessiné derrière son compagnon, qu'il dépasse légèrement en avant. Ce sont donc deux silhouettes placées l'une contre l'autre, sans qu'on ait cherché à tenir compte de l'épaisseur des figures. Mais ce procédé était plein de pièges et l'artiste n'a pas manqué d'y tomber. Il a voulu, au lieu de rabattre les deux épaules sur le plan, suivant la convention habituelle, essayer à trois reprises d'en dessiner une de profil. Mais, ne pouvant néanmoins se résoudre à laisser disparaître un des bras du second porteur, il a naïvement répété la ligne du bras légèrement en avant du bras gauche du premier por- teur. Voilà donc que celui-ci a, du coup, deux bras gauches et un bras droit, tandis que son compagnon n'a, en tout, qu'un bras droit ! Ce sont là des faits intéressants à observer et à recueillir pour montrer combien, malgré toute l'habileté technique et les recherches patientes des anciens, il a été difficile de traduire exactement l'impression réelle que produit sur notre ceil le corps humain dans ses diverses attitudes. salle vi. Retournons maintenant sur nos pas jusque dans la première salle, où, on s'en souvient, s'ouvraient deux portes, l'une au Nord, l'autre au Sud. Laissant 5o ■ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH S *>-^*w- Hh—m »**— »*^— »*w—^w_ &~-^th—&~m&— >*— »*^^«^-*— ■ »*^— »**— *«W_ l««— t«Na -^W-^«,N__^w -*«■— ^*W. n'est pas bien déterminé et dit au jeune homme : « C'est pour te faire du bien. » Ce qu'il fait est probablement indiqué dans le texte qui se trouve au-dessus de l'opéré et que nous voudrions traduire « racler ou oindre, ce qui est parfait (i) ». Le terme <£2o est fréquemment employé avec ce sens dans les textes médicaux. M. Max Miiller préfère lire « docteur », quoique le mot signifiant « docteur », écrit différemment à cette époque, se rencontre dans ce tombeau avec l'orthographe habituelle (planche XXXV). Nous ne pensons pas que l'opération de la circoncision fût, dans l'ancienne Egypte, du domaine des médecins, pas plus, du reste, que de nos jours, où elle est habituellement pratiquée par les barbiers (2). Au registre supérieur, nous n'avons plus qu'une partie des représenta- tions. M. Max MûlJer propose d'y reconnaître des opérations chirurgicales. Cette conclusion ne s'impose nullement, comme on en jugera d'après notre photographie. Nous y verrions plutôt des scènes de massage (3). Au côté Est (planche LXVU), au registre inférieur, à droite, un homme est assis sur le sol, les bras croisés ; il tend en avant un de ses pieds et le livre aux mains d'un pédicure, qui lui arrange les ongles. « Ne me fais pas de mal, » dit-il. L'autre répond : « Je ferai comme tu désires, prince. » A côté, symé- triquement, un manicure soigne les mains du maître. Un petit registre inter- médiaire est occupé par une série de trois coffrets, destinés évidemment aux ingrédients nécessaires à la toilette. Par-dessus, au milieu, le maître est assis sur le sol; il livre ses deux mains à des aides, qui semblent les lui masser. Les légendes ont disparu à peu près entièrement ; il reste, au-dessus de la tête du maître : « vous dépêchez-vous par ma vie » et la réponse que l'on peut deviner : « agréablement, mon cher ». Il n'est évidemment pas nécessaire d'interpréter les scènes sculptées dans cette entreporte autrement que toutes les autres qui sont représentées sur les murs des diverses salles. Elles sont destinées à remplacer pour le mort les services réels qu'il aurait eu, dans sa nouvelle vie, le droit de réclamer des serviteurs qui, sur la terre, avaient été attachés à sa personne. Si nous (1) Voir Macalister, loc. cit., p. 443 : « Blood must be shed in the opération, and the inner layer must be torn with the thumbnail ; this supplemental opération is called pèrî'ah, and is said to hâve been introduced by Joshua. » (2) Comme l'individu qui, en 1906, au bazar d'Assouan, déclarait sur son enseigne qu'il coupait les cheveux, pratiquait la circoncision, guérissait de la petite vérole et régénérait le sang 1 (3) Voir, par exemple, au tombeau de Ptah-hetep : Gripfith, The Tomb of Ptah-helep, planche XXXV. 52 m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH Si n'avons en cet endroit que des scènes relatives au massage et au soin des ongles, il n'y a aucune difficulté. En acceptant l'interprétation de M. Max Miiller, qui y voit des opérations chirurgicales, il n'en serait pas de même. Car bien que le mort soit exposé à toutes sortes d'infirmités dans l'autre monde, il est évident que la représentation de celles-ci sur les murs de la tombe, en vertu des principes de la magie imitative, provoquerait par elle- même les accidents que, d'autre part, on s'ingéniait à éviter. Mais l'interpréta- tion du savant américain lui est inspirée par le voisinage de la scène de circoncision, dont nous avons à présent à proposer une explication. Nous avons dit déjà que la vie dans la tombe différait à peine de celle qui s'était déroulée au milieu des vivants. La vie sexuelle n'avait aucune raison pour s'éteindre et l'on sait parfaitement qu'Osiris, le dieu principal des morts, avait après son décès engendré un fils, Horus. Les diverses coutumes relatives au mariage des morts, qui ont été récemment l'objet de curieuses recherches de la part de Schrader (i), l'habitude chez de nombreuses peuplades d'enterrer avec le mort sa femme ou ses femmes, montrent qu'il n'y eut pas d'hésitation à cet égard. Les statues et statuettes représentant la femme du mort, déposées dans les tombeaux égyptiens, sont un simple adoucissement à la coutume barbare d'immoler la veuve. Nous ne pouvons donner ici à cette question les développements qu'elle exigerait. Il suffit de noter que les Égyptiens ont cru que la fonction sexuelle, comme toutes les autres Jonctions, n'était pas abolie par la mort et que, par conséquent, les morts pouvaient en Egypte avoir des enfants (2). Ces enfants évidemment ne sortaient pas du monde des morts, et c'est par là probablement que l'aventure d'Horus, fils d'Osiris, était frappante aux yeux des Égyptiens ; Horus est, en effet, sorti du monde des morts pour venger son père. Les enfants nés dans la tombe, lorsqu'ils atteignaient l'âge de la puberté, devaient subir la circoncision, et c'est dans ce but que cette opération a été représentée sur les bas-reliefs. Il est impossible, pensons-nous, d'en donner, en dehors de cette éventualité, une explication vraisemblable. N'a-t-on pas souvent figuré dans les tombeaux la saillie des vaches, la naissance des veaux, dans le but de renouveler les troupeaux du mort ? Les oiseaux ne sont-ils pas (1 ) Otto Schrader, Totenhochzeil. Bin Vortrag gehallen in der Getelhcbafl fur Urgeschichle zu lena, lena, 1904. (2) Voir, par exemple, la figurine n* 14517 du Musée de Berlin, dont l'inscription semble bien l'indiquer. 53 m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH 9 figurés (voir planche XXXVUI) couvant leurs ceufs; les hippopotames donnant naissance à leur jeune (voir planche XXVI) de façon à renouveler le gibier favori que le maître du tombeau chassera pour occuper les loisirs de la vie d'outre-tombe (i) ? On objectera peut-être que l'opération est faite par un prêtre du double. Les prêtres du double, chargés du service du mort, se succédaient de généra- tion en génération et, quand ils mouraient, ils étaient certainement enterrés à proximité du tombeau auquel ils avaient été attachés. Les nombreux puits funéraires de la rue (voir planche VU) ont vraisemblablement abrité les membres de la famille des propriétaires des tombeaux et les prêtres funé- raires. N'est-ce pas de la même façon que Nefer-seshem-Ra, Ankh-ma-Hor et Nefer-seshem-Ptah, etc., les prêtres du double du roi Teti, sont ensevelis à proximité de la pyramide royale ? Morts, ils continuent à faire partie de la maison du maître et à remplir leur emploi habituel. Nous pénétrons maintenant dans la VIe et dernière salle, qui s'étend de l'Est à l'Ouest sur toute la profondeur du tombeau. Malheureusement, les par- ties décorées de reliefs ont disparu à peu près entièrement. Les cinq piliers massifs qui supportaient les dalles du plafond donnaient sur chacune de leurs faces, en une ligne d'inscription, les titres d' Ankh-ma- Hor. Seul, le dernier pilier du côté Ouest les a conservés entièrement et nous permet de constater qu'Ankh-ma-Hor portait à peu près les mêmes titres principaux que Nefer-seshem-Ra. Dans la partie Est, deux pilastres faisant saillie sur le mur, en face d'un des piliers, constituent de ce côté une espèce de petit kiosque séparé du reste de la salle. Sur tous deux, le mort était représenté debout, bâton et sceptre en mains, s'avançant vers la salle. (Du côté Nord, on ne voit plus que les pieds.) Au mur Sud du kiosque, une scène de divertissements avait été sculp- (i) Voir aussi la stèle n" 1372 du British Muséum, dont nous aurions vivement désiré publier ici une reproduc- tion. Nous avons entamé, pour y être autorisés, les démarches régulières, et voici la réponse faite à notre demande : « In reply to Mr Macbeth's application (M. Macbeth est un photographe que nous avions chargé d'exécuter une photographie de la stèle) to take a photograph for M. Jean Capart from a stèle in thc Egytian Gallery, he is requested to inform M. Capart that permission cannot be granted. » Aucun motif n'est exprimé. Un de mes amis anglais ayant renouvelé, en son nom, la demande, apprit que « les Trustées s'étaient réservé la publication ». Nous tenons à dire que toutes les demandes analogues que nous avons eu l'occasion de présenter ont reçu le même accueil. C'est là une situation de fait dont souffrent à peu près sans exception tous les égyptologues qui ont essayé de travailler dans la section égyptienne du British Muséum. Ces procédés, déjà singuliers en soi, sont plus étranges encore, quand on songe à l'extrême libéralité que l'on est accoutumé de rencontrer partout ailleurs en Angleterre. ■ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH S tée ; il ne reste que la partie inférieure et les traces d'un second registre (planches LXV111 et LX1X). Le mort, assis sur un siège à pieds en forme de pattes de lion, regardait les danses qu'exécutaient devant lui deux hommes ; un troisième battait la mesure en frappant dans ses mains. ( [ ? H c 1 - n.) Au registre inférieur, les danses se poursuivent, exécutées cette fois par cinq femmes représentées dans une attitude que l'on trouve rarement dans les scènes analogues. Leurs pas sont accompagnés par Je battement de mains de deux femmes. La coiffure des danseuses est terminée par une longue tresse, à laquelle est suspendue une balle, qui, au cours des évolutions de la danse, entraînait la tresse rapidement autour de la danseuse. A côté des offrandes nécessaires à la vie matérielle, on veillait donc à fournir au mort des plaisirs esthétiques et, si on nous permet l'expression, on enfermait au tombeau des danses en les exécutant réellement à l'intérieur de la demeure d'éternité au moment des funérailles. Leur figuration sur les murs en assurait la répétition aussi souvent que le mort Je désirerait. Des scènes qui couvraient le mur Est du kiosque, il ne reste à peu près rien. On voit encore, adroite, les jambes du mort, debout, s'avançant vers la gauche. Il était suivi, au premier registre, par son fils aîné, l'ami unique Jeshfi "fe^ ^^ ° ftO H ? *c5~ (j c ^ (j et, au second registre, par deux personnages dont les jambes seules sont conservées. Du nom du premier, il reste une seule lettre 0. \\ qui permet peut-être de suggérer que nous avions de nou- veau ici le frère du défunt s= t\ sa» %, rencontré deux fois dans la salle 111 (voir planches XLV11 et XL1X). Enfin, au mur Nord du kiosque, on croit reconnaître quelques traces de scènes représentant le bétail aux champs. Dans la partie Ouest de la salle VI, le mur était consacré à des scènes fort rares, malheureusement mutilées et dont la partie conservée fait vivement regretter la disparition. On y voyait, en effet, les funérailles d'Ankh-ma-Hor. A part un petit fragment de représentations analogues dans le tombeau de Meri (salle A i3), cette scène est unique jusqu'à présent dans les nombreux tombeaux de l'Ancien Empire (planches LXX, LXXI et LXX11). Au registre inférieur, à gauche, la maison du mort est représentée par un plan schématique. A l'intérieur, des femmes, debout et accroupies, se lamentent. Au-dessus de la maison, le titre général de la scène « sortir vers la maison d'éternité, vers le bon Occident » ne permet pas de doute sur le 55 S UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ sujet représenté (i)- La plainte des femmes, commencée à l'intérieur de la maison, se poursuit à l'extérieur, où la douleur s'exprime en des attitudes de désespoir violent. Au-dessus, les hommes joignent leurs larmes et leurs cris à ceux des femmes. Deux hommes ont été identifiés par des courtes inscrip- tions : l'un est le préposé au sceau, c'est-à-dire l'homme de confiance, Ptah- shepses ; l'autre, le prêtre du double, Senbshi. Tous sont groupés devant la demeure d'Ankh-ma-Hor, suivant de l'œil l'enterrement qui s'éloigne. Malgré la gaucherie et la naïveté de certaines attitudes, on ne peut s'empêcher d'admi- rer la façon dont l'artiste est parvenu à introduire le « pathétique » dans des scènes où les représentations d'époque postérieure nous montrent les acteurs quittant rarement les attitudes toutes conventionnelles d'une douleur distin- guée et de bon ton. On aperçoit encore, à droite, trois des porteurs de la civière sur laquelle était posé le cercueil d'Ankh-ma-Hor. Immédiatement derrière eux s'avancent la pleureuse ^ °'^' Puis Tro's prêtres s'apprêtant à jouer un rôle dans la cérémonie de la mise au tombeau. Le premier est le chef des chanceliers divins (?), qui remplira le rôle du prêtre ^ c*, lequel apparaît souvent dans ces cérémonies funéraires. 11 porte le bâton et le sceptre ; une espèce de bandelette ou de mantelet flotte, posé sur son épaule gauche. Le prêtre d'Anubis, qui le suit, s'avance, les deux bras pendants, accompagné du prêtre récitateur tenant en mains le rouleau sur lequel sont inscrites les formules. Tous deux portent sur la poitrine une bande d'étoffe qui passe au-dessus de l'épaule gauche et sous le bras droit. Nous retrouverons ces prêtres, exerçant leurs fonctions, dans la dernière salle du troisième tom- beau (voir planche XCV11I). Il est vraisemblable que le chancelier divin, la cérémonie terminée, mettait les scellés sur la porte du tombeau, scellés qu'on a parfois retrouvés en place au cours des fouilles. La procession funéraire se déroulait ainsi longuement ; nous la retrou- vons au second registre. En tète, marchent trois prêtres, qui lisent les formules écrites sur des rouleaux de papyrus ou de peau, puis deux prêtres, vêtus comme le chancelier divin, précèdent une seconde pleureuse. Ensuite viennent trois hommes tenant le brancard de la civière sur laquelle pose le cercueil. Une (i ) Steindorff dans le Bâdeker d'Egypte, 1906, p. i5l, dit : « Darstellung Kranker und einer Entbindung. » 56 m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH il partie de la civière est conservée et l'on entrevoit l'angle inférieur du cercueil lui-même. Au moins six hommes soutenaient la civière aux côtés du cercueil, et il semble bien qu'ils étaient tous dessinés comme s'ils se trouvaient derrière celui-ci. 11 est hautement désirable qu'une découverte heureuse permette enfin de compléter ce fragment, fait pour exciter notre curiosité, car il est probable que ces scènes apprendraient bien des choses sur l'histoire de la sépulture à l'époque de l'Ancien Empire. Il faut, dès à présent, en rapprocher les reliefs publiés par Lepsius et qui nous font assister à des épisodes des cérémonies accompagnant l'entrée au tombeau (i). On se demandera peut-être pourquoi les funérailles sont représentées ici. L'enterrement, dira-t-on, n'avait nul besoin d'être répété pour le mort et l'explication que nous avons donnée de toutes les autres scènes ne convient plus pour celle-ci. 11 y a là une certaine difficulté, dont il nous faut chercher la solution. La première idée qui peut venir à l'esprit, c'est que cette repré- sentation a pour but d'éviter aux parents du mort les frais énormes des funé- railles solennelles et il n'est pas impossible qu'en certains cas on ait eu recours à ce procédé pratique ; mais lorsque nous songeons à la qualité d'Ankh-ma- Hor, à l'importance de ses fonctions, à la beauté de son tombeau, nous ne pouvons supposer un instant que l'on se soit abstenu de lui faire de pom- peuses funérailles. D'ailleurs, il y aurait, même dans ce cas, une scène que l'on ne s'expliquerait pas : les membres de la famille chercheraient-ils également à épargner leurs larmes en se faisant représenter comme ils le sont ici, se lamen- tant sur la mort de leur parent ? Le principe de la « représentation équivalant à la réalité » ne s'étendait pas certainement aux sentiments familiaux, qui, en Egypte, étaient fort développés, à en juger par les textes. Dans un ouvrage assez récent, Edward Clodd (2) écrit : « Les nombreux exemples réunis par Dr Frazer dans son étude sur « Quelques coutumes funéraires servant d'il- lustration à la théorie primitive sur l'âme » (3) prouvent que les soins qu'on prend des morts dérivent moins de l'affection, que de la crainte chez les survivants. Comme chacun le sait, les esprits des morts non ensevelis hantent (1) Lepsius, Denkmàler, 11. 35 et 101b ; Schâper, Darslellung einer Beisetzung im allen 1{eich dans la Zeilichrift fur àgyptiscke Sprache und Jlllerlumskunde, tome XLI, 1904, p. 65-67. (î) Jlnimism, The Seed of Religion. Londres, Constable, 1905 (Religions anciennes et modernes), p. 87. (3) Frazer, On certain Burial Cusloms as illuslralive oflhe primitive Theory of Ihe Soûl, dans le Journal of Ibe Anlhropological ïnslilute of Greal Brilain and Ireland, t. XV, ■ 885, p. 64-104. 57 @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ® la terre et se rendent extrêmement désagréables, spécialement pour leurs parents ingrats. » N'est-ce pas dans cette idée si juste qu'il faut chercher l'explication de notre scène de funérailles ? Les survivants veulent montrer au mort que tout ce qu'il est convenable de faire pour un mort a été réellement fait. Le défunt, dans sa tombe, verra toujours les attitudes de désespoir de sa famille au moment de son trépas ; il entendra les lamentations qui ont accom- pagné son départ de la maison ; il verra l'exécution intégrale de tous les rites qui lui permettent de mener une existence agréable dans sa maison d'éternité et il n'aura, par conséquent, aucune raison de revenir tourmenter les vivants. Un texte conservé sur un papyrus du musée de Leide, et qui contient les plaintes d'un mari contre sa femme morte qui vient le tourmenter, exprime à peu près la même idée : « Cesse de m'accabler... tu n'en as pas le droit... pendant ta vie, j'ai fait tout ce qui était mon devoir envers toi... quand tu es morte, je t'ai pleurée, je t'ai fait des funérailles en règle (i). » Cette explication permet de comprendre pourquoi, quand Améno- phis IV perdit sa fille, il fit représenter dans le tombeau les scènes de désolation qui accompagnèrent ses derniers instants (2). Aménophis IV et sa femme, qui témoignèrent, partout où ils l'ont pu, leur tendre affection pour leurs enfants, n'auraient pu songer à épargner leur douleur en usant d'un procédé magique. La jeune morte, dont l'esprit pouvait troubler sa famille et constituer peut-être un danger pour les autres enfants, devait être apaisée certainement en voyant combien son départ avait causé de deuil. C'est pour cela aussi que l'on avait représenté le sanctuaire familial où la morte recevait un culte de ses parents et de ses sœurs. A l'extrémité du mur Sud de la salle VI, on a inséré, dans la restauration moderne en ciment, un fragment de relief, où l'on discerne encore quelques restes d'une grande scène. Ces restes tout à fait incomplets ne méritent certai- nement pas d'être reproduits en photographie ; il suffira d'en donner une description. Nous avons ici le seul fragment ayant appartenu à la partie supé- rieure d'un mur; on entrevoit encore la coiffure d'Ankh-ma-Hor. Devant lui se trouve l'inscription: « 11 voit l'abordage des bateaux chargés de bœufs, (1) Maspero, Élude sur quelques peintures et sur quelques textes relatifs aux funérailles ("Eludes égyptiennes, t. 1, 2' fascicule), p. 145-1 56. (2) Bouriant, Legrain et Jéquier, Monuments pour servir à l'élude du culte d' Atonou en "Egypte, t. I. Le Caire, 1903. (Mémoires publiés par les membres de l'Institut français d'archéologie orientale du Caire), planches Vl-Xlll. 58 S UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ amenés de ses villes de le chef de tous les travaux du roi, Sesi, le pre- mier après le roi, chef de la grande maison, chef des deux étangs de plaisir, Ankh-ma-Hor, dont le bon nom est Sesi .» Devant Ankh-ma-Hor, il reste des traces de deux registres. Au plus élevé, on distingue encore l'avant d'une barque avec un homme debout à la proue. Au registre inférieur, l'avant d'une autre barque. Ici également un homme est débouta la proue, et au-dessus de sa tète on lit une inscription j^ ^ JjL, , dont la première partie se retrouve à côté d'un des porteurs d'offrandes de la salle IV (planche L1X). Un second personnage, qui se retourne, prononçait des paroles dont il ne reste que quelques signes §\^Q \X*Ç\ %' °n reconnaît enfin ,a partie supérieure du corps d'un des rameurs (i). A l'extrémité Ouest de la salle V] s'amorçait un escalier, qui conduisait peut-être sur la plate-forme extérieure du mastaba. Nous avons ainsi terminé l'examen du tombeau d'Ankh-ma-Hor, qui peut certainement passer pour un des plus intéressants de ceux qui sont actuel- lement visibles à Saqqarah. Des questions surgissent spontanément à l'esprit : Qui est l'auteur des bas-reliefs qui couvrent les murs des différentes salles ? Faut-il y reconnaître l'œuvre d'un seul artiste? Quelle est la part d'origi- nalité de l'artiste dans la composition des scènes ? Ce sont là des questions auxquelles il n'est malheureusement pas possible de répondre avec précision. On peut vraisemblablement croire que les grands personnages avaient chez eux des scribes, habiles dessinateurs, et des ouvriers d'art qui, pendant la vie, étaient chargés de fabriquer tous les objets précieux qui meublaient la maison de leur maître. C'est à eux probablement qu'était également confié le soin de sculpter les statues funéraires, de décorer les parois du tombeau et de meubler celui-ci de tout l'attirail nécessaire. Le roi en avait dans son palais et il semble bien qu'il les mettait à la dis- position de ceux auxquels il concédait la faveur d'une sépulture. On en trou- vera figurés dans une procession de porteurs d'offrandes au troisième tombeau (voir planche XC1X). (i) Scènes analogues Lepsius, Denkmàler, 11, 62 et 104b, et Erganzungsband. planche XXXVII. 59 i9 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH D Selon la remarque du professeur Erman (i), les dessinateurs, les sculp- teurs et les peintres qui ont concouru à la décoration de la tombe ont pris soin de se représenter eux-mêmes sur les murs, assurés de la sorte de parti- ciper à l'éternité de leur maître. Nous pensons donc les reconnaître dans la scène du mur Sud de la première salle (planche XXXI 11), et le principal d'entre eux, Mesi, une seconde fois, sur le mur Nord de la salle 111 (planche XLVJ1). Ces artistes, — qu'il vaudrait mieux appeler ouvriers d'art, car les préoc- cupations esthétiques étaient vraisemblablement réduites chez eux au minimum, — après avoir fait partie de la maison du mort, entraient dans celle de son héritier, et, s'il était possible d'étudier la question avec précision, on com- prendrait peut-être pourquoi, dans divers tombeaux voisins, la même main semble se reconnaître dans l'exécution des bas-reliefs. 11 n'est pas douteux que plusieurs sculpteurs aient travaillé au tombeau d'Ankh-ma-Hor. 11 suffit, pour en être convaincu, de comparer, par exemple, les deux côtés d'une même porte, celle qui conduit de la salle 1 1 à la salle 1 1 1 (planches XL1V et XLV). L'auteur des figures intérieures des piliers de la porte d'entrée (planches XXI 11 et XXIV) est le même qui a fait les figures ornant intérieurement les piliers de la porte d'entrée du troisième tombeau (planches LXXV111 et LXX1X). Inutile de prolonger des remarques de ce genre, que le lecteur pourra faire lui-même à loisir. 11 est à peu près certain, nous l'avons dit précédemment, que les sculpteurs se servaient de véritables cahiers de modèles, qu'ils se transmettaient d'école à école. Pour pouvoir donc apprécier la part d'invention de chacun, pour recon- naître jusqu'à quel point ils croyaient devoir rester esclaves de leur modèle, il faudrait que l'on eût entre les mains un très grand nombre de reproductions photographiques de scènes des tombeaux contemporains, ce qui n'est malheu- reusement pas le cas. Sans cela, on s'expose à noter comme détail personnel de véritables clichés d'atelier. En voici un exemple. En plusieurs endroits du tombeau d'Ankh-ma-Hor, le sculpteur a eu à graver le mot oiseau au pluriel, ce qui s'obtient, on le sait, par la triple répétition du signe 1^ : or, salle 1 1 , (i) A. Erman, Ein J{ùnsller des allen 1{eichs, dans la Zeilschrift fur dgyplische Sprache und Jlllerlumskunde, t. XXXI. 1893, p. 97-98. Voir encore Ad. Erman, Ein Maler des neuen r\eichs, ibidem, t. XLII, 1905, p. ■ 28- 1 3 1 ; W. Sfiegelbero, "Eine T{ùnstterinschrift des neuen T{eiches dans le J{ecueil de travaux relatifs à la philologie et à l'ar- chéologie égyptiennes et assyriennes, t. XXIV, 1902, p. 185-187. 60 §) UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ® mur Ouest, il écrit le signe en retournant vers l'arrière un des oiseaux ; porte de la salle 111 à la salle IV, côté Est, il l'écrit en dessinant le premier oiseau occupé à manger sur le sol, tandis qu'au même endroit, côté Ouest, il le dessine de la manière habituelle. Voilà bien, dira-t-on, une fantaisie de l'artiste. Eh bien, au tombeau de Ptahhotep, qui est antérieur comme date à celui-ci, dans un défilé d'animaux présentés au mort, on voit des oies groupées de façon telle, qu'elles combinent les trois variantes graphiques du tombeau d'Ankh-ma-Hor (planche CV) (i). Une question mérite encore de nous arrêter quelques instants. En divers endroits, nous avons remarqué qu'une figure — le plus souvent celle du fils du défunt — avait été soigneusement effacée. Nous avons vu que le même phénomène se retrouvait dans le tombeau de Nefer-seshem-Ra et nous le constaterons également dans le troisième tombeau. Il y a là évidemment le résultat d'une coutume funéraire, d'autant plus que les mêmes martelages apparaissent dans d'autres tombeaux de la nécropole memphite. Nous don- nons, à titre d'exemple, un fragment des bas-reliefs du mastaba de Sabou au Musée du Caire, où l'on remarque deux représentations du fils soigneu- sement effacées (planche CV1). Le malheur est que les martelages ont été si soigneusement faits, qu'il est impossible de lire le nom du fils ; or, c'est ce point qui nous donnerait peut-être la clef du problème. M. Maspero a bien voulu nous suggérer l'explication suivante : En vertu des principes de magie, le fils qui figure sur les reliefs à côté de son père fait réelle- ment partie de sa maison funéraire. 11 sera enseveli vraisemblablement dans la sépulture du père et, de même qu'il vivait sur la terre dans la maison paternelle, de même il sera assuré de ne manquer de rien dans la maison d'éternité de son père. Mais si ce fils, après la mort de son père, obtient la faveur royale et s'élève à un rang supérieur, il obtiendra peut-être aussi le droit de se faire ériger un tombeau. Dans ce cas, il y aurait une difficulté à ce que le fils restât sur les reliefs de la tombe paternelle et, dans le but de mettre fin à cette situation insupportable pour l'Egyptien, il était nécessaire d'effacer la figure du fils partout où elle se rencontrait. Le fils d'Ankh-ma- Hor, Jeshfi, le seul dont le nom ait jamais été inscrit à côté d'un des petits (i) Ce qui laisse supposer néanmoins des essais individuels à une période antérieure. 61 @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ personnages accompagnant le défunt, a obtenu les honneurs d'une chapelle spéciale, placée à côté du tombeau de son père et communiquant avec lui. En même temps, la présence de cette chapelle empêche de voir dans ces martelages la preuve de l'exhérédation d'un fils indigne. 11 serait curieux, du reste, que les trois propriétaires des tombeaux de la rue Loret eussent eu le malheur d'être obligés de déshériter un de leurs enfants. Si les noms n'avaient pas été effacés avec tant de soin dans les tombeaux, peut-être consta- terions-nous le rapport de parenté qui existe entre les trois propriétaires. Un petit personnage figuré, sans indication de filiation, il est vrai, sur un des piliers de Nefer-seshem-Ra, s'appelle Sheshi ; nous verrons que c'est là le nom du propriétaire du troisième tombeau. On objectera peut-être que la figure de Jeshfi n'a pas été effacée partout. Qu'on n'oublie pas que le tombeau n'était vraisemblablement éclairé que par la porte d'entrée ou par quelques rares soupiraux ; d'ailleurs, les marte- lages dans la seconde salle au mur Sud (planche XXXI 11), où une des figures du fils est effacée, immédiatement à côté d'une autre qu'on a laissé subsister, semblent montrer que ce travail a été exécuté avec une certaine hâte et sans qu'on y ait mis un soin absolument scrupuleux. Nous venons de dire que Jeshfi, le fils d'Ankh-ma-Hor, possédait en propre une chapelle funéraire. On y pénètre par une porte, murée aujourd'hui, qui s'ouvrait dans le mur Sud de la salle I . Elle est constituée par une salle appuyée sur six piliers, ménagée entre le tombeau de Nefer-seshem-Ra et celui d'Ankh-ma-Hor. Elle n'a reçu pour toute décoration qu'une stèle en forme de porte, de qualité assez médiocre (planche LXX111), sur laquelle se lisent les titres et noms de Jeshfi, dont le second nom est Tutu. Quelques-uns de ces titres sont fort curieux, notons spécialement ^ 62 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ® IV. TOMBEAU DE NEFER-SESHEM-PTAH Sur la façade du mastaba, entre les tombeaux d'Ankh-ma-Hor et de Nefer-seshem-Ptah (planche LXXV), une grande figure debout est sculptée en relief dans le creux. Aucune inscription ne permet de distinguer à qui elle appartenait. Les mains, soigneusement représentées, confirment ce que nous avons eu l'occasion de remarquer précédemment : le bâton est bien tenu dans la main gauche et le casse-tète, qui est dans la droite, doit naturellement passer derrière le corps. La façade du tombeau de Nefer-seshem-Ptah n'est point ornée de grandes figures du défunt ; ce n'est que sur les piliers qu'on trouve deux petites images qui le représentent (planches LXXV1 et LXXVII). Les panneaux en calcaire sont remplis de textes religieux qui ne nous apprennent rien de plus que ce que nous avons lu sur la stèle de Nefer-seshem-Ra. Le panneau de droite (planche LXXVII) notamment contient plusieurs formules identiques à celles de la stèle. Si nous examinons les titres du défunt, nous voyons qu'il en pos- sède plusieurs en commun avec Ankh-ma-Hor et Nefer-seshem-Ra : « chef des prêtres de la pyramide du roi Teti, le premier après le roi, bâton des Rekhyt?, Ankmoutef?, chef de la grande maison, maître des secrets de tous les commandements royaux », titres qu'il partage également avec Meri et Kagemna, les propriétaires des tombeaux voisins du côté de l'Ouest. Le mort s'appelle Nefer-seshem-Ptah, nom composé de la même manière que celui de Nefer-seshem-Ra, le propriétaire du premier tombeau. On pour- rait peut-être soupçonner qu'il en était le fils, comme nous l'avons dit précé- demment. Son bon nom est Sheshi. A côté de ces deux désignations, nous en rencontrons une troisième, dont le sens n'est pas bien déterminé : Oudja-ha- Teti, c'est-à-dire « la santé environne le roi Teti ». Ce nom est formé au moyen de celui du roi dont le défunt était prêtre. Sur les faces internes des piliers de l'entrée (planches LXXV1II et LXX1X), Nefer-seshem-Ptah est représenté vu de profil, gravé probable- ment par la main qui a décoré les piliers d'entrée de la tombe d'Ankh-ma- 63 @ UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ Hor et peut-être aussi les piliers de Nefer-seshem-Ra. Seulement, ici, l'artiste a ajouté un collier, qui fait mieux ressortir encore la gaucherie du mouvement du bras tenant le bâton. Avant de pénétrer dans le tombeau, remarquons que, à peu près en face de la salle intérieure où nous trouverons la stèle, on a réservé, dans le mur du mastaba, une niche ornée d'une table d'offrandes avec deux petits bassins pour les libations. On y voit le mort, assis devant sa table d'offrandes, avec les titres de « premier sous le roi, chef des missions des deux maisons des offrandes divines, estimé du dieu grand ». Le tombeau de Nefer-seshem-Ptah semble n'avoir jamais été entièrement terminé ; il comprend un assez grand nombre de salles, dont plusieurs n'ont reçu aucune décoration. Nous verrons qu'un bas-relief au moins a été laissé inachevé. Trois salles sont actuellement murées et, tant sur le plan que sur le terrain, il n'est pas fort aisé de se rendre compte de leur destination. Remar- quons que dans la partie ensablée, sur une entreporte que nous ne retrou- vons pas sur le plan publié par M. Loret, on peut voir des croquis légère- ment tracés à la pointe. Quelques-uns sont également visibles devant la porte du tombeau d'Ankh-ma-Hor, contre le mur du grand mastaba qui borne la rue du côté de l'Est. La salle 1, dans laquelle nous pénétrons, n'a aucune trace de décoration ; les reliefs commencent dans la porte qui conduit à la salle II (planches LXXX et LXXX1). Des deux côtés, sur quatre registres, des prêtres du double sont représentés conduisant des gazelles, des antilopes, des bœufs. Les deux faces sont les mêmes, à l'exception de légers détails. D'après les inscriptions, la plupart des animaux proviendraient des fermes ou parcs où on les élevait. La salle 1 1 est en majeure partie décorée de scènes de porteurs d'of- frandes. Au mur Sud (planche LXXX1I), remarquons l'effort fait par l'artiste pour varier la position des bras des porteurs, ce qui, de prime abord, n'a pas été sans produire des résultats assez étonnants. Regardons, par exemple, le bras droit du premier porteur au premier registre ou celui du quatrième au second registre ; il paraît replié sur lui-même, dans une position tout à fait invrai- semblable, que nous retrouverons sur le mur Ouest de la même salle. Si nous songeons au procédé du « quart de tour avant le rabattement », nous verrons 64 il UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH il que le bras est exactement dessiné, à condition de le supposer vu de profil. Seulement, l'artiste, dessinant les épaules de face, a rabattu le bras et obtenu ainsi un résultat réellement peu satisfaisant. Deux bas-reliefs du Musée du Caire, que nous reproduisons ici (planche Cl 11), sont intéressants à examiner, parce qu'ils permettent de reconnaître l'origine de ce mouvement. Notons au premier registre, parmi les offrandes, une jeune hyène grasse. Les Egyptiens les élevaient dans leurs fermes et plusieurs tombeaux nous font assister à leur engraissement. Le registre supérieur, qui a disparu à peu près entièrement, était consacré à une scène de pêche à l'hameçon. On dis- tingue encore l'eau avec les lotus et l'extrémité d'une barque sur laquelle est assis un homme qui pèche à la ligne. Le mur Ouest est interrompu par une porte actuellement murée. Dans la partie Sud, on ne voit plus que les jambes de trois porteurs d'offrandes tour- nés vers la droite. Dans l'entreporte, on reconnaît, à gauche, les jambes d'un porteur d'offrandes ; à droite, un porteur en entier et les jambes de deux autres, marchant tous vers la salle 1 1 . Dans la partie Nord du mur Ouest (planche LXXX111), deux registres de porteurs sont conservés, ainsi que le commencement d'un troisième. On pourra se faire une idée du style de ces sculptures par un fragment que nous donnons à grande échelle (planche LXXX1V) et qui est particulièrement curieux. Un porteur tient suspendue à son bras une petite cage dans laquelle quatre hérissons paraissent placés les uns sur les autres. C'est le résultat de deux rabattements, d'abord du fond de la cage, puis des animaux sur le fond, avec le souci constant de tout montrer avec le plus de précision possible. C'est le même procédé que l'on constate au mur Nord, où les offrandes s'accumulent les unes sur les autres en un équi- libre des plus instables. En réalité, on relève sur le plan la surface du plateau, de façon à laisser voir tout ce qu'il contient. Au mur Nord, au-dessus des deux processions d'offrandes, nous voyons des porteurs qui, ayant rencontré sur leur chemin un canal à traverser, sont montés sur deux légers canots, faits en tiges de papyrus. Sur l'eau, pleine de lotus bleus et blancs, les barques sont poussées en avant au moyen de longues gaffes. Dans chaque barque, on voit deux hommes maniant la gaffe : l'un est au milieu pour donner l'impulsion en avant, l'autre en arrière pour diriger l'em- barcation. Or, dans la rapidité de la marche, le second canot va heurter le pre- 9 65 il UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH il mier ; Je gaffeur d'arrière le repousse du pied, tandis qu'il active la marche en avant de son propre canot (planche LXXX111). Au-dessus, cinq porteurs sont chargés de grands poissons ; l'un d'entre eux est si lourd, qu'il a fallu deux hommes pour le transporter. Le mur Est (planche LXXXV), qui a conservé la plus grande partie de sa décoration, est entièrement consacré à la capture des oiseaux et à leur élevage à la ferme. Tous les travaux s'exécutent devant le mort, qui, accompagné de sa femme, surveille les opérations, debout dans l'entreporte de la salle 111. Au premier registre, à gauche, deux serviteurs s'avancent vers le maître, en lui présentant des oies et des canards vivants. Derrière eux, un groupe d'hommes tire à la corde d'un grand filet. Les tendeurs sont cachés entre deux écrans formés de papyrus liés, l'écran de devant traversé par la corde du filet. Les types représentés ici (planche LXXXV1) sont extrêmement curieux. Le chef d'équipe, qui se retourne vers ses camarades et crie : « Eh ! tendeur, à toi, tire et la chasse est à toi, » n'a pas l'aspect d'un Égyptien ; il porte une coiffure tout à fait bizarre, que nous ne pensons pas avoir rencontrée nulle part et qu'on pourrait comparer à ces modes africaines qui combinent les scarifi- cations avec les touffes de cheveux. Notons aussi la courte barbiche, que les Égyptiens ne portent pas souvent. Le premier tendeur est un Égyptien bien caractérisé, tandis que les quatre hommes qui le suivent ont un type spécial que l'on retrouve de temps en temps dans les tombeaux de l'Ancien Empire. Le plus souvent, ce sont des gens qui exercent des métiers inférieurs, ordinairement des chasseurs, des pêcheurs ou des bateliers, et qu'on a supposés depuis longtemps, avec infiniment de raison, appartenir à une des races qui précédèrent l'arrivée des Égyptiens pharaoniques dans la vallée du Nil. La position des jambes des tendeurs est intéressante à comparer à celle qui est représentée dans la scène analogue du tombeau d'Ankh-ma-Hor (planches XXXI V et suivantes). Le filet est placé au milieu d'un fourré de plantés aquatiques, où s'ébattent des oies, des canards et des échassiers ; au-dessus, quelques oiseaux s'envolent au moment où le filet va se fermer. Logiquement, nous devrions passer maintenant au troisième registre, où, le filet s'étant refermé, on vient prendre les oiseaux pour les porter dans les volières où ils seront élevés. Examinons néanmoins à présent le deuxième registre (planche LXXXV11). 66 SI UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH SI A gauche, sous un toit léger supporté par des colonnettes à chapiteaux en fleur de lotus épanouie, deux scribes sont occupés à enregistrer les quantités de graines sorties du grenier pour la nourriture des oiseaux : l'un est le sous-directeur du grenier, l'autre le préposé aux scribes du grenier. Deux serviteurs s'avancent chargés de sacs remplis de grains, qu'ils s'apprêtent à déverser dans les deux volières ; le contenu de celles-ci est si riche, qu'ils s'exclament : « Quelle quantité d'oiseaux ! » Un peu plus loin (planche LXXXV111), les volières elles-mêmes sont représentées, sans qu'on puisse très exactement voir comment elles étaient agencées. Les porteurs de sacs y ont pénétré ; l'un jette les grains sur le sol au- devant des oiseaux, l'autre appelle ceux-ci pour leur distribuer la nourriture. Un rapide coup d'ceil sur les deux volières permettra de reconnaître que, dans celle de droite, la sculpture n'est pas terminée et que seules les grandes lignes générales ont été découpées sur le fond, sans indication du détail des plumes des ailes et sans que les contours aient été adoucis. Le registre suivant nous montrera la chose encore plus nettement. Au troisième registre, à gauche, la scène est divisée d'abord en deux petits registres. Un homme, assis sur le sol, est occupé à fabriquer un filet. Séparée de lui par un écran en papyrus, l'équipe des tendeurs, entièrement constituée d'Égyptiens cette fois, a tiré la corde du filet au moment favo- rable et « la chasse est dedans », comme ils disent. Il ne reste qu'à prendre les oiseaux; aussi, pendant que trois des compagnons sont encore couchés sur le sol et tirent de tout leur poids sur la corde, deux autres se sont déjà rele- vés et accourent à toutes jambes vers le filet (planche LXXX1X). Sans perdre de temps, une des oies est tuée et plumée par un des hommes, assis sur le sol, et qui, à en juger par son allure, est passablement expert en cet exercice. Puis, dès que quelques oies sont plumées, on les suspend, prêtes à être rôties, dans la cuisine en plein air, où le cuisinier s'occupe immédiatement d'en préparer une pour le repas des tendeurs. D'une main, il tient la broche au-dessus du brasier ; de l'autre, il manie une espèce d'éventail qui active la combustion et chasse la fumée. Si on examine, dans ce troisième registre, la partie occupée par le filet, on peut voir parfaitement le procédé employé pour la sculpture des reliefs. Le dessinateur indiquait sur le calcaire même, par un trait léger, le sujet à sculpter. 6? m UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH @ Un premier sculpteur découpait seulement les silhouettes et ravalait le plan de la pierre entre les diverses figures ; c'est ce qui est fait pour une partie des oiseaux qui s'envolent (i). Ensuite, on commençait à marquer sommairement quelques détails, par exemple les boucles de la chevelure pour l'homme penché au-dessus du filet et prenant les oiseaux. L'ébauche ayant ainsi été poussée déjà très loin et d'une manière tout à fait prudente, le travail délicat com- mençait, et c'est d'une main légère que les contours étaient adoucis et que l'on précisait les détails. Il suffit de comparer l'homme ébauché avec un de ses compagnons pour voir tout ce que cet achèvement ajoutait de grâce et d'élé- gance à la sèche et rude silhouette. Un détail peut être noté encore. Dans le filet, à gauche, en bas, trois canards sont posés l'un à côté de l'autre. Dans l'inscription qui accompagne la scène, le mot « oiseaux » est déterminé par trois petits canards qui sont la copie précise du groupe qui se trouve en dessous, donnant ainsi un bon exemple de la manière soigneuse dont les hiéroglyphes copient la nature (voir aussi l'antilope, planche LXXX, inscription du premier registre ; le bœuf dont on a, il est vrai, supprimé les cornes, qui auraient dépassé l'alignement, plan- che CV ; les oies, ibidem. ; les bœufs, planche CV1). Aux deux registres suivants, on est en train d'engraisser les oies et les grues, en leur introduisant de force dans le bec des boulettes de pâtée. Ici, bien des détails ont été saisis avec une habileté rare. Regardons, par exemple, les grues (planche LXXX IX) : on a fait passer à droite celles qui ont déjà reçu leur pitance ; au milieu, un homme a saisi un oiseau par le cou et s'efforce de lui introduire une boulette dans le bec, tandis que l'oiseau, qui résiste, fléchit sur ses longues pattes en cherchant à se dégager. L'opération n'allait pas sans laisser tomber des miettes de nourriture et les grues voisines sont admira- blement dépeintes, épiant ce qui se passe, promptes à saisir les moindres reliefs. On peut reprocher à l'artiste de n'avoir pas toujours pris soin de donner à ses oiseaux le nombre de pattes nécessaires : il y a six grues pour cinq pattes ! En n'y regardant pas de trop près, on trouve un réel plaisir à observer ces petites scènes, véritablement prises sur le vif. (i) On peut parfaitement se rendre compte de ce procédé dans le couloir d'entrée du tombeau de Phtahhetep. Voir Davies, The Maslaba of Plahhelep and Akhethetep al Saqqarah, tome II, Londres, 1901 (Archaeological Survey of Egypt, IX), Planches V-XI et pp. 4, 10, 14. 68 §1 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH 19 Les deux derniers registres sont assez détériorés et ne présentent rien de particulièrement notable ; on y entrevoit des porteurs d'offrandes et des groupes d'oiseaux. Dans la porte qui conduit de la salle 11 à la salle III (planches XC- XCU1), le mort est debout, accompagné de sa femme, présidant aux travaux que nous venons d'examiner. « Il voit, dit l'inscription qui se répète à droite et à gauche, tous les bons travaux des champs faits dans ses villes. » La pose du mort, s'appuyant sur un bâton dans une attitude de repos, la jambe gauche fléchie et le pied posant sur le pied droit, est assez rare pour être remarquée. C'est, en même temps qu'une variante heureuse de l'attitude que nous avons trouvée dans le tombeau d'Ankh-ma-Hor (planches XXXI V et XL1 V), une tentative sérieuse pour représenter le corps humain en équilibre sur une des jambes, au lieu de l'appuyer solidement sur les deux. Les artistes contemporains d'Amenophis IV, bien des siècles plus tard, reprendront le problème et abou- tiront à une solution des plus élégantes dans le petit bas-relief du Musée de Berlin (i). La femme de Nefer-seshem-Ptah est représentée à côté de son mari. Le nom qu'elle porte est fort intéressant à noter : elle est fille aînée du roi et s'appelle Seshseshet, dont le bon nom (voir planches XCVII et Cl) est Sheshit. Or, la femme de Méri et la femme de Kagemna, les propriétaires des tombeaux voisins du côté de l'Ouest, sont toutes deux filles du roi et portent toutes deux le bon nom de Seshseshet. Il est difficile de ne voir là qu'une coïncidence et il est vraisemblable que l'on peut y trouver un argument de plus en faveur de l'hypothèse en vertu de laquelle tous ces tombeaux appar- tiendraient à des membres d'une même famille. Ajoutons que dans le tombeau de Meri on rencontre plusieurs fois des prêtres et des fils dont les images et les noms ont été effacés : leur tombeau, d'après l'hypothèse exprimée précé- demment, devrait donc se trouver dans les environs. On peut remarquer ici que, si tous les tombeaux connus dans ce quartier de la nécropole sont con- temporains du règne du roi Teti, un des fils de Meri vivait sous le règne de son successeur Pepi. Nous verrons dans la suite que vraisemblablement Nefer-seshem-Ptah a passé une partie de sa vie sous le règne de Pepi. A droite et à gauche de l'entreporte, en dessous du mort et de sa femme, (i) W. Spieqelbero, Geschichle der àgyplischen 7(unst. Leipzig, 1903, fig. 63, p. 68. 69 ® UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ® nous trouvons, disposés en deux registres, encore huit porteurs d'offrandes s'avançant vers la salle 111. Dès que nous pénétrons dans cette salle, un spectacle assez inattendu s'offre à nos yeux (planches XC1V-XCV1). Au fond de la salle, la porte des appartements du mort nous apparaît ; mais, cette fois, ce n'est pas seule- ment une simple porte comme celle que nous avons vue dans le tombeau de Nefer-seshem-Ptah et dans la chapelle de Jeshfi. Ici, le mort lui-même s'avance vers nous, surgissant en quelque sorte de la muraille en une triple apparition. Sur chacun des panneaux latéraux de la stèle, il est debout dans une attitude ferme et énergique, les jambes l'une à côté de l'autre, les bras pen- dant le long du corps, les poings fermés, tandis que la tête, encadrée de la longue perruque évasée, se redresse, ayant gardé un air impérieux, malgré les mutilations qui ont fait disparaître les traits du visage. Au-dessus de la porte, à la fenêtre, le mort est représenté encore, mais cette fois, puisqu'il est à l'intérieur de la maison, il a quitté la perruque et se montre la tête absolument rase. ]] est dangereux de vouloir tout expliquer en archéologie, spécialement en archéologie égyptienne, où les matériaux n'ont pas encore été suffisamment étudiés pour étayer les thèses. Essayons cependant d'interpréter la représen- tation de la stèle de Nefer-seshem-Ptah, tout en avertissant que nous nous bornons à une hypothèse, dont il serait fort difficile de donner une justification rigoureuse. Au début, la stèle aurait été simplement une fausse porte assez profonde, une espèce de niche dans laquelle se trouvait, debout, la statue du mort, en marche, sortant de ses appartements pour venir chercher dans la chapelle les offrandes qui y avaient été déposées. Le tombeau de Méri nous montre encore un spécimen de ces stèles (1) (planche CV11). « Debout, écrit Mas- pero, le buste bien effacé, tête haute, face souriante, il s'avance comme pour amener le double, du réduit ténébreux où l'embaumement le confine, aux plaines lumineuses où il avait habité librement pendant sa vie terrestre ; encore un pas, et franchissant le seuil, il va descendre le petit escalier qui aboutit à la salle publique. Aux jours de fête et d'offrande, quand le prêtre et la famille (i) La niche était fermée par une double porte. Souvent on supprime la statue et on se contente de repré- senter les battants de la porte fermée. Au mastaba de Ptah-shepses, à Abousir, il y a trois niches juxtaposées. 70 gl UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ® présentaient le banquet rituel, cette grande figure peinte et lancée en avant s'animait tout entière à la lueur tremblante des torches ou des lampes funé- raires : c'était l'ancêtre lui-même qui semblait jaillir de la muraille et apparaître mystérieusement au milieu des siens pour leur demander leur hommage (i). » Dans quelques exemples, au lieu déplacer une statue réelle dans la porte, on se contentait de sculpter en haut relief la figure du mort sur la paroi du fond de la stèle. C'est le cas pour un des tombeaux de Saqqarah publié par Miss Murray (2). Ou bien encore sur la paroi du fond, on représentait en léger relief la statue vue de profil. Ensuite, sur les deux murs latéraux, à l'intérieur de la porte, on a dessiné la statue à peu près comme elle se projetterait sur chacun des murs si l'on mettait une source de lumière une fois à droite et une fois à gauche ; de là, cette répétition de la même figure avec les anomalies que nous avons eu l'occasion de remarquer. Que l'on songe, par exemple, à la manière dont le casse-tête cérémoniel est figuré, passant une fois devant, une autre fois derrière le corps. Mais, comme la fausse porte ne présenta bientôt plus une profondeur suffisante pour que les figures du mort pussent être dessinées sur les parois latérales, on les reporta sur les panneaux d'encadre- ment de la porte, où elles représentent encore les statues du mort, comme on peut aisément s'en rendre compte en comparant leurs attitudes avec les nombreuses statues contemporaines. Nous nous demandons même s'il n'y a pas là une explication de l'aspect spécial que présentent les grandes figures du mort et des membres de sa famille, contrastant souvent par leur raideur avec les figures plus dégagées des personnages qui participent aux scènes représentées sur les murs. La sculpture en ronde bosse ne se prêtait pas, en effet, à des attitudes aussi variées et aussi libres que le bas-relief. On pourrait objecter, il est vrai, que, dans des scènes nombreuses auxquelles le mort préside, il est figuré dans la même attitude conventionnellement raide. Mais c'est évidemment parce que toutes les scènes sont censées se passer et se passent réellement en présence de la statue du mort, qui est le nouveau sup- port du double, tandis que le corps, enveloppé de ses bandelettes, desséché, tombe en poussière au fond du sarcophage. Et la preuve, à notre avis, que ces figures représentées sur le fond de la stèle sont bien des copies des sta- (1) Maspeuo, Histoire ancienne des peuples de l'Orient, t. 1, p. î5j. (ï) Saqqarah Mastabas, t. 1, pi. XIX. Voir aussi Musée égyptien, pi. XXIV. 7' il UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH il tues, c'est que, en quelques cas, comme chez Nefer-seshem-Ptah, on s'est souvenu de leur signification première et qu'on les a sculptées en haut relief, les dégageant de la pierre le plus qu'on a pu (i). Ainsi est-il possible d'expli- quer logiquement, d'après nous, la présence des deux figures qui font ici une si vive impression. 11 faudrait plus d'exemples qu'on n'en possède pour essayer d'interpréter la troisième figure du mort, qui apparaît en buste à sa fenêtre. Une stèle du Nouvel Empire au Musée du Caire nous montre une représentation ana- logue (2). Les mutilations qui ont détruit les traits du mort sont vraisembla- blement assez récentes : elles datent peut-être de l'époque où la nécropole memphiteaété livrée au pillage par les chercheurs de trésors (3). Les croyances d'après lesquelles les statues étaient animées d'un esprit, que l'on tuait ou aveuglait en mutilant les figures, étaient alors encore très vivaces (4). Les inscriptions de la stèle donnent quelques formules funéraires fré- quentes et les noms et titres de Nefer-seshem-Ptah ou Sheshi ou Oudja-ha- Teti. Sur les côtés, en dehors de la moulure d'encadrement, des vases con- tiennent les sept huiles. Devant la stèle, sur une banquette élevée qui se prolonge du côté Nord jusqu'au mur Est, on a sculpté une table d'offrandes. Les deux murs Nord et Sud, de chaque côté de la stèle, sont consacrés à des scènes d'offrandes. Au mur Nord (planches XCV1I et XCVU1), le premier registre nous montre une procession de prêtres du double chargés d'offrandes. Le premier porteur, qui était le fils du défunt, a été soigneusement effacé ; ensuite viennent plusieurs personnages attachés à la maison du roi. Le nom de vfè « l'homme de Ptah » est intéressant à noter comme confirmation Cà A AAAAAA Pi delà lecture Senousret du nom des Ousertesen, les rois Sesostris de la XIIe dynastie, d'après la découverte de M. Sethe (5). La longue ligne d'inscription qui surmonte les porteurs dit que les (1) Voir Lepsius, Denkmdler, 1), 44. (1) Musée égyptien, planche XXV. A moins qu'il ne faille voir dans cet exemple la copie d'une niche dans laquelle se trouverait une statue du mort agenouillé, tenant devant lui une stèle, ce que l'on rencontre souvent à l'époque du Nouvel Empire. (3) J. M. Un Touriste à la nécropole de Memphis au début du XVTl' siècle. (Extrait de la T{evue d'Egypte.) Le Caire, Imprimerie Nationale, 1895. (Extrait de Pietro della Valle.) (4) Maspero, Histoire ancienne des peuples de l'Orient, t. 1, p. 25j. (5) Kurt Sethe, Sesostris. Leipzig, 1900, pp. 6-7. 72 ® UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH g) offrandes sont apportées par les « préposés aux prêtres du double », les « à la suite des prêtres du double » et les « prêtres du double », du premier après le roi, Nefer-seshem-Ptah. Celui-ci est assis au registre supérieur devant une table d'offrandes. A ses pieds est assise, respirant une fleur de lotus, sa femme, fille aînée du roi. M. Borchardt a montré que les grands tuyaux paral- lèles qui surmontent la table sont des feuilles de palmier stylisées, figurées en rabattement, mais qui, en réalité, se plaçaient sur les aliments pour en écar- ter les mouches (i). Devant la table, des offrandes sont amoncelées sur deux registres qui se terminent chacun par six nouveaux serviteurs venant appor- ter leur contribution à l'amas de provisions. Au-dessus de la table, on aperçoit l'extrémité des cases dans lesquelles étaient écrits les noms des divers aliments nécessaires au mort. Enfin, on distingue la partie inférieure d'une scène religieuse. Les prêtres que nous avons vus au tombeau d'Ankh-ma- Hor défilant dans le cortège des funérailles sont ici occupés à leur office, consacrant les offrandes, récitant les formules et se livrant à des évolutions mystérieuses, dont l'effet principal devait être d'animer la statue du mort et les représentations des murs et de mettre ainsi le mort en état de bénéficier de tous les soins minutieux qu'on avait pris en lui préparant son tombeau. Remar- quons le dernier prêtre à droite, qui s'éloigne du groupe de ses collègues, en traînant derrière lui une espèce d'écharpe : c'est une scène que l'on retrouve rarement à cette époque (2), mais assez fréquemment dans les représentations religieuses d'époque postérieure. Au mur Sud (planches XC1X et C), le panneau étant moins grand, les scènes ont été un peu écourtées. Au registre inférieur, plusieurs personnages attachés à la cour, entre autres un sculpteur royal et un orfèvre c~~1 ô *T" pss^, apportent des offrandes. Le mort, assis devant sa table, n'est plus, cette fois, accompagné de sa femme : on remarquera le modelé excellent de cette figure, que l'éclairage à contre-jour a fait ressortir parfaitement. La table elle-même (1) L. Borchardt, Vie Varstellung innen verzierter Schalen aufàgyplischen Denkmàtern, dans la Zeilscbrifl fur à'gyptiscbe Sprache und Atlerlumskunde, 1893, t. XXXI, p. 1. (2) Voir, par exemple, Grifpith, The Tomb of Ptahhelep, pi. XXXVIII, avec la légende ji'MW 54 XXVI] 3o XXVU] 30 XXIX 3o XXX 3o XXXI 3, XXXU 3., 3i XXX111 32( 34, 4,, 6o, 62 XXXIV 34, 39, 66, 69 XXXV 34, 52 XXXVI 35 XXXVII 35 XXXV111 35, 54 XXXIX 35, 5, XL 35, 45 XL] 34 XL11 37 XL]]] 38 XL1V 38, 60, 69 XLV 39, 60 XLV1 40 XLVJ] 40, 41, 55, 60 XLV111 42, 75 XLJX 43, 49, 55 L 44 L1 4°. 44. 74 LU 35, 45 LUI 46 L1V 46 LV 46. 47 LV1 46 LVU 47 LVUI 47 L,x 47. % LX 47, 48 LX1 47, 48 LXU 47( 48 LX1U 48 LXIV 49 77 UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH il PLANCHES LXV 5o LXVI 5i LXV11 5î LXV11] 55 LX1X 55 LXX 55 LXX1 49. 55 LXX11 49. 55 Lxxin 62 LXX1V 63 LXXV 63 LXXYJ 63, 75 LXXV11 63, 75 LXXV]]] J9, 28, 60, 63, 75 LXX1X 19, 28, 60, 63, 75 LXXX 64, 68 LXXX] 64 Lxxxn 48, 64 LXXXUl 65, 66 LXXX1V 65 LXXXV 34, 36, 66 LXXXV1 36, 5 1, 66 LXXXV1I 66 LXXXV11I 67 LXXX1X 67, 68 XC 69 XCI 69 xcn 18, 69 XC111 69 XC1V 70 XCV 70 XCV1 70 xcvn 22, 69, 72 XCV11J 56, 72 1C 59, 73 C 73 Cl 47. 69- 74 eu 74 CIII 36, 65 CJV 4> CV 61, 68 CV1 61, 68 CV11 70 ?» UNE RUE DE TOMBEAUX A SAQQARAH ® TABLE DES MATIERES Préface .......... 7 Introduction .......... « i ] Tombeau de Nefer-seshem-Ra . . . . . . 17 ]] Tombeau d'Ankh-ma-Hor . . . . . . 27 ] 1 1 Tombeau de Nefer-seshem-Ptah ...... 63 Concordance des planches et du texte ..... 77 79 NYUIFALIBRARY 3 1162 04063534 5 The Institute of Fine Arts New York University Stephen Chan Library of Fine Arts E